Qui connaît Stéphanie Guillaume, cette conteuse gâvraise si originale ? Un Dictionnaire des femmes de Bretagne, il y a une vingtaine d’années, lui a certes consacré une courte notice. La publication de son œuvre n’est pas non plus passée inaperçue si l’on en croit l’épuisement rapide des trois volumes de ses contes. Son talent si particulier mérite cependant une autre notoriété, au-delà de son fan-club de Port-Louis qui travaille à la mise en voix radiophonique de ses récits(3) et s’est souvenu en mars dernier du centenaire de sa mort en lui consacrant une journée et une conférence.

À vrai dire, si le nom de Stéphanie Guillaume ne se manifeste pas avec la netteté qui facilite la reconnaissance, c’est qu’il est indissolublement lié à d’autres noms que le sien. Elle est de ces artistes populaires qui n’ont échappé à l’anonymat que parce que des découvreurs ont su les repérer et les servir. Elle a, de fait, rencontré sur sa route deux folkloristes avisés, d’abord Joseph Frison (1888-1967) puis Yves Le Diberder (1887-1959).

Stéphanie Guillaume est née à Gâvres en 1960. L’itinéraire géographique qui a été le sien au cours de sa vie, si étroites qu’en aient été les bornes, illustre d’un point de vue économique et social une transformation majeure du littoral. Son père était tonnelier, l’un des derniers d’une profession en voie d’extinction, de même que celle de paludier à laquelle elle est liée. Le traitement artisanal de la sardine, salée et pressée en barils, évolue alors vers une industrialisation et une concentration croissantes dont témoigne son existence. Au moment de son mariage, en 1889, domiciliée à Gâvres, elle est journalière dans l’une de ces “friteries” qui jalonnent alors la côte de sa presqu’île natale. Son mari, Louis Morvezen, domicilié à Bangâvres, est “boîtier” de son état – on disait plus couramment “zinzin” en raison du procédé par lequel on sertissait les boîtes de sardines en fer blanc. Cette spécialité de soudeur-boîtier, naguère considérée, est en train de se voir reléguée par les techniques mises en œuvre dans des usines qui remplacent progressivement les “fricasses”. Épouser un boîtier n’est plus une promotion. Venir habiter Bangâvres, non plus. On imagine mal ce que pouvaient être les micro-sociétés d’autrefois, de même que les différences de mode de vie et de mentalités qui pouvaient se rencontrer à très peu de distance. Gâvres, au sud, ouvrant sur Groix, s’est développé autour d’un prieuré de l’abbaye Saint-Gildas de Rhuys ; Bangâvres, au nord, face à Port-Louis, remonte au xviiie siècle mais prend nettement l’avantage démographique et économique sur le sud par l’attraction de l’industrie de la conserve. Passer de l’un à l’autre, c’est franchir une “barrière”, selon l’expression fréquemment entendue comme une évidence dans les années 1980. Un espace de marais, de trous d’eau et de ponts marque effectivement une coupure dans l’espace et plus encore dans les mentalités. On est “chouans” à Gâvres, “rouges” à Bangâvres, avec ce que cela entraîne dans le rapport à l’évolution des mœurs. La famille de Stéphanie a considéré son passage à Bangâvres comme un déclassement et la perd ensuite totalement de vue quand elle s’installe à Port-Louis, entre 1891 et 1893. C’est là, au 3 rue de la Pointe, qu’Yves Le Diberder, prit l’habitude de la rencontrer pour noter sous sa dictée ce qui allait constituer un ensemble sans équivalent de récits d’êtres fantastiques. (…)

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