Le GR 37, sentier de grande randonnée en centre Bretagne

Le GR® 37 vient de se voir décerner par des internautes le trophée du sentier de randonnée préféré des Français. Il devance haut la main le GR® 4 (qui va de l’Atlantique à la Méditerranée) et le GR® 367, autrement dit le sentier Cathare. Belle performance pour un itinéraire qui reste cependant assez peu connu et encore moins couru. Tous les marcheurs chevronnés connaissent bien sûr le sentier des Douaniers en Bretagne, le fameux GR®34 qui d’ailleurs avait remporté la palme il y a quelques années. On s’y presse, on s’y bouscule parfois, bref on frôle la saturation. Certes, la mer est belle – qui prétendrait le contraire ? – les falaises délicieusement vertigineuses, les plages de sable d’or et l’horizon dégagé si d’aventure la brume s’est levée. Tout un chapelet de ports et de stations balnéaires égrène l’itinéraire, et il n’y a donc aucun souci pour trouver gîte et couvert sauf quand la place est déjà prise par des importuns qui y avaient pensé avant vous, surtout en pleine saison. Allez vous balader sur la Côte de Granit rose un dimanche en été et vous comprendrez ! C’est ce qu’on appelle la rançon du succès. 

Le GR® 37, lui, est plus discret, plus secret et donc plus redoutable à apprivoiser. Non qu’il soit physiquement plus difficile, bien au contraire, c’est presque une promenade de santé, mais une kyrielle de pièges, de cachotteries et de sortilèges nous attendent au tournant. Alors en route, “Tap da sac’h ta, breur koz”, chantait Youenn Gwernig (“attrape ton sac, vieux frère”) et n’aies point peur de la boue, des ornières, des bouses de vaches et des arbres récemment abattus par ce vandale, ce vilain vent dénommé Ciarán. 

Du Mont-Saint-Michel à Camaret s’étale une guirlande en zigzag de 780 kilomètres soit, pour une foulée moyenne de 0,70 mètres, environ 1 115 000 pas (nous avons arrondi !) à décliner. Considérant, comme chacun sait, que le premier pas est le plus difficile, c’est jouable pour un randonneur confirmé. À raison de 25 kilomètres par jour (restons modestes), il faut compter une trentaine de journées de marche. Un mois, donc. Juin, par exemple, ou alors septembre, des périodes idéales pour ce genre de pérégrinations, mais pour qui ne craint ni les tempêtes d’équinoxe, ni les canicules estivales, toutes les saisons se valent. L’important est de suivre ses désirs selon ses disponibilités et sa forme physique. La deuxième question qu’on puisse se poser, c’est de savoir dans quel sens on va le faire, ce satané gr. D’est en ouest ou le contraire ? Partira-t-on du Mont-Saint-Michel ou de Camaret ? Aura-t-on le soleil en face ou le vent dans le dos ? Tout dépend bien sûr de l’humeur de chacun, tantôt orientée vers le couchant, parfois vers le levant. 

Il est vrai que le Mont-Saint-Michel est une bonne base de départ. C’est ici que sont vissés les starting-blocks d’un tas de pèlerinages ou d’itinéraires qui partent de “la Merveille de l’Occident” ou y aboutissent. On y vient de Notre-Dame-de-Paris (GR® 22) ou de Guérande (GR® 39), on part pour Le Mans (GR® 365) ou bien sûr vers Saint-Jacques-de-Compostelle (le grand classique). Les plus ambitieux prendront leur bâton pour Rome. Cependant, à la pointe de Pen-Hir, au bout de la presqu’île de Crozon, une borne scellée à l’ombre de la grande croix de Lorraine de granit dédiée aux héros de la France Libre marque le kilomètre zéro du GR® 37. Tout porte donc à croire que c’est ici que se situerait le point de départ. Après tout, on s’en moque. Chaque pèlerin ou chaque randonneur vous dira que le mieux est de partir du seuil de sa maison, ou du moins de rejoindre l’itinéraire au plus près. Nous concernant, nous suivrons la marche du soleil et ferons le trajet depuis le Mont. Vers l’ouest, vers le ponant.

La belle endormie

Ce GR® 37 a été surnommé par la Fédération française de randonnée pédestre (ffrp) “Cœur de Bretagne”. Le premier tronçon a été inauguré en 1968, entre Huelgoat et Douarnenez. Puis l’idée de traverser la Bretagne intérieure a germé dans l’esprit des responsables avant de se concrétiser sur le terrain. De Vitré à Camaret, d’abord, avant d’établir une liaison avec le Mont-Saint-Michel. C’est une sorte de diagonale un peu tordue, et même bien tordue, qui nous invite d’abord à faire une sorte de grande boucle autour des marches de Bretagne avant de virer sur la droite. On va visiter les quatre départements de la région administrative et même se permettre quelques audacieuses embardées dans les départements voisins de la Mayenne (Que Dieu nous garde !) et de la Manche (idem !). C’est l’Armorique intime qu’on va traverser, celle des grandes plaines remembrées et celle des chemins creux, celle des ombres et celle des horizons, des collines chauves et des forêts épaisses. En soulevant le drap de brume protégeant la belle endormie, on va découvrir de bien jolies choses, suivre des rivières et des canaux, enjamber d’antiques ponts de pierre, on traversera des landes rousses et des prairies fleuries, on croisera des mégalithes tombés du ciel ou jaillis des ténèbres, on va gravir des montagnes hautes comme ça, s’enliser dans des tourbières, se faire mordre par des korrigans et tordre par les lavandières de la nuit. Bienvenue dans le k.b., le Kreiz-Breizh, le vrai. 

Imaginez une nuit au Mont-Saint-Michel. Pas une nuitée dans un de ces quelconques hôtels bordant la nationale, mais à l’intérieur du Mont lui-même, au cœur de la cité, au pied de la merveille. Je vous l’accorde, les prix ne sont pas à la portée de toutes les bourses mais si vous êtes un vagabond chaussant souliers crottés, la maison du pèlerin accueillera les plus démunis ou les plus radins. Une nuit au Mont-Saint-Michel, donc. Et que le Mont appartienne à la Bretagne, à la Normandie ou la Neustrie occidentale, on s’en fiche un peu. Le rocher appartient à la mer, tout simplement. Partir à l’aube depuis l’abbaye, descendre les marches avant l’invasion des touristes, entendre ses souliers fouler le pavé humide, emprunter le pont-passerelle avant d’aborder le continent est un privilège précieux. C’est précisément dès qu’on touche le continent que se pose un choix cornélien. Franchir le Couesnon comme on franchit le Rubicon, prendre à droite et se donner corps et âme au redoutable concurrent, le GR® 34, ou préférer prendre la direction plein sud et suivre le fleuve. C’est ce qu’on va faire. Administrativement, nous sommes toujours dans le département de la Manche. Géographiquement, nous traversons une zone de polders et de prés salés. Physiquement, tout va pour le mieux car ici, le paysage est aussi plat qu’une galette et spirituellement, nous sommes encore sous la bienveillance de l’archange qui, du haut de son clocher, nous indique la route à suivre. On ne peut pas se tromper, il suffit de longer les rives du Couesnon jusqu’à Pontorson. Une douce entame, en somme, le long des champs, le long des berges caressées par une bienveillante brise. 

S’il fallait donner une couleur à ce GR®, ça serait souvent un vert dense tirant sur la rouille. Au sud de Pleine-Fougères, la forêt de Villecartier est la première qu’on traverse en à peine une heure. Aussi navrant qu’étonnant, la Bretagne, pays de Merlin l’enchanteur et de la fée Viviane, est la région la moins boisée de France. Seul 13 % de son territoire (25 % au niveau national) sont occupés par des forêts, qu’elles soient domaniales ou privées, alors que l’empereur César, toujours avide de conquêtes, n’y avait trouvé qu’une vaste masse sombre et chevelue. (…)

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