
Né au printemps 1431, durant la guerre de Cent Ans, alors que les Anglais brûlent Jeanne d’Arc, François Villon est l’un des plus remarquables poètes pour son époque comme pour les siècles qui ont suivi. Des centaines de livres ont été publiés sur son compte à travers le monde. Cependant son existence est nimbée de mystère.
On a souvent dit ne connaître ni ses origines ni la fin de la vie du grand poète médiéval, François Villon, sinon que son père est mort peu après sa naissance. Déjà Villon n’est pas son nom, mais celui d’un père adoptif, Guillaume de Villon à qui l’a confié sa mère à l’âge de sept ans. Ce chanoine bourguignon de l’église Saint-Benoît-le-Bétourné, près de la Sorbonne à Paris, a permis à cet enfant de “petite extrace” de suivre des études couronnées par le diplôme de maître ès arts, c’est-à-dire professeur de droit et de littérature… Ses diplômes indiquent qu’il se serait appelé Montcorbier. Un quatrain de sa plume nous livre une variante : Corbeil ou Corbel.
Sa belle carrière est compromise en fréquentant les tavernes du Quartier latin et en partant en guerre contre la société de son temps au fil de la plume. La dérive des bas-fonds et les turpitudes des tripots et des bordels nourrissent sa poésie burlesque et tragique. On a cependant négligé l’influence de la Bretagne dans cette vie tourmentée. C’est ce qui a donné matière à un récent ouvrage, Le Mystère François Villon, poète-cambrioleur, vagabond et breton.
La fuite en Bretagne
Au cours de l’hiver rigoureux de 1456-1457, la Seine est devenue une patinoire. Le poète réchauffe l’encre qui gèle et paraphe le début de ce qu’il appelle le Lais (Legs) ou Grand Testament : “Sur la Noël, morte saison / Que les loups vivent du vent / Et qu’on se tient en sa maison / Pour le frimas, près du tison […] / Et puisqu’il me faut partir / Sans être sûr de revenir / […] Je m’en vais en pays lointain /Je fais le présent testament…”
Tout est dit. C’est la nuit de Noël que débute le cycle de poèmes, ballades et quatrains, qui, par collages successifs, constituera un vrai roman en 3 000 vers. Le récit d’une odyssée qui va durer jusqu’en 1463 et sa disparition finale…
Mais comment suivre ces pérégrinations ? Il faut comparer des dizaines de versions des deux textes principaux, le Lais (ou Petit Testament) et Le Grand Testament, tandis que les archives criminelles chroniquent au moins trois affaires dans lesquelles est impliqué notre poète itinérant : le meurtre d’un prêtre, l’abbé Sermoise, à côté de Saint-Benoît en juin 1455 (dont le principal témoin est un condisciple étudiant de Tréguier, Jehan Le Merdi) ; puis, à quelques rues de là, le cambriolage du Collège de Navarre, qui rapporte un butin de 500 écus d’or partagé avec trois complices, perpétré cette nuit de Noël où il prétend commencer son grand œuvre (une sorte d’alibi) ; un méfait qui, lui faisant craindre une arrestation, provoque sa fuite à l’ouest ; ensuite après deux grâces royales, alors qu’il est retourné à Paris, en 1462, le voici impliqué dans l’agression d’un notaire pontifical nommé Ferrebouc.
Entre 1457 et 1462, on peut situer au moins deux périples en Bretagne qui ne doivent rien au hasard. Villon s’ancre du côté de Rennes, vagabonde vers Châteaubriant, puis sur les marches de Bretagne et enfin sur la Loire à Angers, à Blois et Orléans où il sera incarcéré et atrocement torturé par le sadique évêque Thibault d’Aussigny.
C’est au retour à Paris qu’il est à nouveau condamné à mort (dans l’affaire Ferrebouc alors qu’il a restitué sa part de butin dans l’affaire du Collège de Navarre). S’attendant à passer de vie à trépas, il compose son plus célèbre poème “La Ballade des pendus” : “Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis…” Dans une langue totalement nouvelle, c’est la vision hallucinante de son propre cadavre balançant sous les fourches caudines, ce qui en fait un poème sans précédent, et jamais égalé, même si Rimbaud, Tristan Corbière, Victor Hugo ou Bertolt Brecht s’en sont inspirés :
“Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis ;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.”
Et tandis que ses ballades sont déclamées dans les tavernes ou affichées en feuillet à la porte des bordels et des étuves, sa renommée va de pair avec le bruyt, la publicité qu’il se fait comme malandrin et poète maudit.
“Où sont les neiges d’antan ?”
Le plus ancien manuscrit que nous possédions, à la bibliothèque Richelieu (BNF), révèle bien des choses. On appelle le “Manuscrit C” ou Coislin du nom de ses anciens propriétaires. D’où vient-il ? Au Moyen Âge, la famille du Cambout de Coislin, forte d’une seigneurie du côté de Guérande, a donné des échansons, des écuyers, des maîtres d’Hôtel (seigneurs chargés de l’intendance) aux ducs de Bretagne (et plus tard à des rois de France). Une piste en soi intéressante, même si l’on ne sait pas comment cette famille est entrée en possession du manuscrit. Composé par trois copistes à partir de 1467, il est couché sur papier – et non sur parchemin – dont le filigrane nous indique qu’il provient de l’Ouest : de Bretagne avec ses moulins à papier de Bréhan ? de Vannes ? de Vieux-Vy-sur-Couesnon ?
Le contenu de morceaux de choix du Testament en dit long. Par exemple, on peut lire “La Ballade des dames du temps jadis”, et son refrain “Où sont les neiges d’antan ?” immortalisée par le chanteur Georges Brassens, ou sa “La Ballade des seigneurs du temps jadis”, et s’apercevoir que les personnages d’origine bretonne et celtique y sont honorés. Les preux Du Guesclin ou Lancelot, ou plus encore Arthus seigneur à double face puisqu’il désigne tour à tour le légendaire roi Arthur ou le connétable Richemont qui deviendra Arthur III.
Un duc de Bretagne que Villon a rencontré à Blois, chez Charles d’Orléans, accompagné du poète breton de sa cour Jean Meschinot. C’est d’ailleurs une autre énigme que l’on se doit d’élucider en lisant en parallèle les ballades de Villon et celles de Meschinot (Les Lunettes des princes) : qui des deux a le plus influencé l’art poétique de l’autre ?
Mais Villon n’a pas fréquenté que les puissants de ce monde. Les pauvres et les gueux, les soldats désœuvrés, les larrons de la cour des Miracles, les étudiants débauchés, les taverniers, les barbiers (tel son ami Colin Galerne de Tréguier), les tenanciers de bordels, de tripots et d’étuves, les archers, les notaires et avocats véreux, et tant d’autres fourmillent dans son œuvre comme dans la vie réelle. Ce qui ne l’a pas empêché de trouver des protecteurs : grâce à Guillaume de Villon, son père adoptif, il a fréquenté Robert d’Estouteville, le prévôt qui envoie ses sergents du guet estourbir les étudiants sorbonnards en rébellion. François écrira, à sa demande, un poème d’amour pour sa femme, Ambroise de Loré, fille du seigneur de La-Guerche-de-Bretagne.
La suite est dans le numéro 269 d’ArMen….



