Chaque jour, nombre d’automobilistes empruntent la route départementale 769, cet axe nord-sud qui traverse la Bretagne, de Lorient à Morlaix. Éric Courtet, installé à Lorient, en a fait de même mais lui, le photographe, a choisi de s’arrêter, de bifurquer vers les bourgs, d’emprunter des voies oubliées. Un peu à la manière de Depardon, il est allé à la rencontre de celles et ceux qui habitent ce territoire du centre-Bretagne, à l’écoute de ces espaces délaissés.
Lorientais d’origine, Éric Courtet a vécu un temps à Paris. C’est là qu’est né son intérêt pour la photo, par hasard : “Un jour, un ami m’a demandé si je pouvais prendre quelques photos de lui sur la scène du théâtre où il jouait. L’exercice m’a intéressé et m’a plu.” Nous sommes dans les années 1990. Il fait la connaissance de Didier Bezace, comédien et metteur en scène français, ancien co-directeur du Théâtre de l’Aquarium et ex-directeur du théâtre La Commune d’Aubervilliers : “Je l’ai suivi à Aubervilliers où il m’avait chargé d’assurer les photos pour la presse et les affiches de ses spectacles.” Autodidacte, il suit en parallèle une formation à l’école de photographie efet à Paris pour parfaire ses connaissances.
Revenu à Lorient en 2005, “j’ai un peu abandonné la photo, les portes du théâtre de Lorient, ce qui m’intéressait alors, m’étant fermées”. L’intermède ne dure que cinq ans, le temps pour lui de prendre conscience que “la photo peut aussi être un véritable acte d’écriture”. Il laisse alors de côté l’esthétique du noir et blanc pour passer à la couleur et s’attelle à un premier travail sur la relation père et fils. “Je venais d’être à nouveau papa et je me réinterrogeais sur la relation avec mon père.” Présenté dans un premier temps à galerie Pierre Tal Coat, ce travail photographique a été depuis exposé à Montélimar, à Angoulême, à Aubenas et en Belgique, et a été primé. Il fait l’objet aussi d’un livre dans lequel les images d’Éric Courtet s’accompagnent d’un texte de Marie-Hélène Lafon aux éditions Isabelle Sauvage. “Ce projet a été très important pour moi car il a vraiment défini ma façon de travailler”, en particulier pour cette nouvelle exposition inscrite, celle-ci, dans le cadre des Rencontres photographiques 2023 de Lorient.
“Cette route départementale, je l’emprunte très souvent et, avant même de faire ’Père et fils’, j’avais commencé à faire quelques photos sur un mode reportage, explique Éric Courtet. J’ai donc repris ce travail mais en l’imaginant cette fois comme un récit pour raconter ce territoire et ces gens qui y vivent.” À chacun ensuite de lire ce qu’il voit dans l’image exposée : “Tout n’est pas dit dans la photo, je laisse volontairement la place à l’interprétation de chacun.” Pour pouvoir s’immerger réellement, le photographe est resté en résidence à La Grande Boutique, à Langonnet : “Cela m’a semblé évident de vivre un temps sur le territoire, ne serait-ce que par souci de légitimité pour en parler.” Ce temps était aussi nécessaire pour nouer des rencontres, certaines au hasard de ses sorties de route, d’autres par relation. “La série s’étale sur cent vingt photos, précise Éric Courtet. Mais seules quarante sont exposées. Le choix a été particulièrement difficile, douloureux même parce qu’il n’est jamais simple de mettre de côté une photo : pour faire celle-ci, il y a eu un moment partagé avec la personne photographiée, et ce moment ne peut pas s’effacer.” Ce lien, le photographe entend bien le conserver. “Je me suis vraiment attaché à ce territoire, et il ne fait aucun doute que je vais continuer à sillonner cette départementale et ses à-côtés.”