Entretien avec Neal Audouin

Historien ayant enseigné au lycée Clémenceau et à l’université de Nantes, Jean Guiffan a été militant socialiste entre les années 1960 et les années 1980. Son dernier ouvrage retrace la naissance du Parti socialiste (PS) en Loire-Atlantique qu’il a vécue de l’intérieur.

Comment aborde-t-on un travail d’historien sur des événements vécus personnellement ?

Je dirais que c’est beaucoup plus difficile que lorsqu’on travaille sur quelque chose d’extérieur. Il faut savoir garder une certaine distance, ne pas trop se mettre en avant, c’est un problème pour tous ceux qui ont joué un rôle politique plus ou moins important et qui entreprennent un jour de l’écrire. Le regard est différent de quelqu’un complètement extérieur.

Pouvez-vous raconter votre parcours ?

Ma première carte militante a été à l’Union nationale des étudiants de France (Unef), au moment des manifestations pour la paix en Algérie. Quand je suis arrivé à Nantes, je n’étais pas du tout militant politique, et c’est un collègue du lycée Clémenceau, membre du Parti socialiste unifié (PSU), qui m’a incité à rentrer dans ce parti. J’ai créé, avec les poperénistes, l’Union des groupes et clubs socialistes (UGCS). Puis, nous avons décidé d’entrer au PS, après sa création en 1969, où nous avons fait connaissance avec les bagarres de tendances au sein du parti.

Il y avait une particularité à Nantes, c’est que les socialistes nantais avaient fait alliance avec la droite voire une partie de l’extrême droite dans la municipalité menée par André Morice. Nous étions contre cela, ce qui a contribué à rapprocher toutes les tendances de gauche du PS, notamment grâce à ce qu’on a appelé le “putsch”.

Le “putsch” de la rue d’Allonville est en effet le point central de votre ouvrage. Pouvez-vous raconter ce qui s’est passé cette nuit-là ?

Bien sûr, j’en ai été l’un des principaux acteurs. En fait, au départ c’était la vieille SFIO qui dominait le PS. Mais de nombreux groupes arrivaient petit à petit, et il s’agissait souvent de personnes qui supportaient mal l’alliance des socialistes nantais avec la droite. Comme on était toujours minoritaires lors des votes, on en a eu marre et on a décidé de frapper un grand coup en 1974.

Dans la nuit du 8 au 9 novembre, on a réussi à mettre en place un débat politique sur la présence des socialistes à la municipalité de Nantes, sans vote prévu. Mais on avait décidé stratégiquement de faire traîner les choses en longueur, le temps que partent le plus possible de vieux militants SFIO.

Passé minuit, l’un des nôtres a sorti un texte préparé à l’avance pour demander la démission des socialistes de la liste Morice. Après des discussions très animées, on s’est finalement rabattus sur une autre motion, plus modérée, qui demandait que les socialistes de la municipalité se mettent désormais en groupe d’opposition. À la grande fureur des dirigeants SFIO nantais, la motion est passée.

Cet événement a été un véritable tournant dans l’histoire du PS en Loire-Atlantique, permettant notamment la constitution d’une liste d’Union de la Gauche, victorieuse aux municipales de 1977.

Justement, Nantes a été la ville la plus importante conquise par l’Union de la Gauche en 1977. Diriez-vous que la Loire-Atlantique a eu une importance particulière dans l’histoire globale du PS ?

Nantes était une des grandes villes de la droite depuis 1947. L’année 1977 a été un tournant, faisant passer Nantes durablement à gauche. Et comme il s’agissait de la plus grande ville passée à gauche en 1977, le congrès national du PS qui a suivi s’est déroulé à Nantes, pour marquer le coup et montrer l’importance de cette ville dans le processus qui a amené à la victoire de Mitterrand en 1981.

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