Longtemps crainte et réservée surtout aux pêcheurs, la mer est aujourd’hui domptée par les surfeurs, une activité qui était encore confidentielle au moment où Daniel Tirilly a ouvert, avec Ronan Chatain, sa première école de surf à la pointe de la Torche en 1994. Si la Fédération Française dénombre aujourd’hui quelque 1 600 licenciés à l’échelle régionale, on estime à 80 000 le nombre de pratiquants en Bretagne. Alors que le marketing territorial promeut un littoral désert avec une poignée de surfeurs à l’eau, la réalité semble être tout autre : face aux plages bondées, en baie d’Audierne (29), mais aussi à Crozon (29), les élus locaux prennent des mesures pour tenter de réguler les flux sur certains spots. Si ce sport nature s’avère peu écolo avec ses équipements dépendants de la pétrochimie, à Tréméoc (29), Gaël Le Thellec propose des planches de surf en bois de paulownia. Un peu plus loin, à Saint-Malo (35), l’école Hina Surf sort elle aussi des sentiers battus : exit la recherche de la plus belle vague ou bien de la photo parfaite pour Instagram. Ici, Hélène Rouault invite des résidents d’Ehpad à venir goûter à ce sport de glisse aux vertus thérapeutiques.

Une certaine histoire du surf, Didier Tirilly a ouvert l’une des toutes premières écoles de surf en Bretagne

Didier Tirilly est un visage connu dans le milieu du surf en Bretagne : chef d’entreprise, il a créé l’une des premières écoles de surf dans la région, l’esb La Torche. Il fait partie des premières générations à avoir arpenté les spots bretons. Son parcours, c’est un peu l’histoire bretonne du surf d’hier et d’aujourd’hui.

Chloé Richard : Vous avez plusieurs casquettes dans le surf : vous êtes le co-créateur de l’esb à La Torche, du Pôle Espoir qui forme les futurs champions. Vous êtes aussi le président de la Ligue de Bretagne de surf. En racontant votre histoire, pourriez-vous nous raconter comment le surf est apparu dans la région ?

Didier Tirilly : J’ai 54 ans et je suis originaire du Cap Sizun. J’ai grandi à Primelin et j’ai commencé à surfer à Saint-Tugen et dans la baie des Trépassés au milieu des années 1980. J’avais 14-15 ans. J’ai tout de suite été passionné. Mes parents tenaient la boîte de nuit La Planète où je voyais pas mal de monde passer, notamment des windsurfers et des surfers. J’ai commencé à surfer via les rencontres faites à cette époque-là. Je fais partie de ce qu’on peut appeler “la fin” de la première génération de surfeurs ici. C’était l’après Plogoff. À l’époque, c’était assez bizarre de voir les gens à l’eau. C’était surtout réservé aux pêcheurs. Les autres étaient agriculteurs. Et beaucoup de gens ne savaient pas nager. J’ai par la suite rencontré Ronan Chatain et nous avons préparé ensemble un brevet d’État pour se former avant d’ouvrir en 1994 l’École de surf de Bretagne. C’était la première école de surf à être créée dans la région. Il y a aussi eu la marque de surfwear Kanabeach à Brest qui a permis d’organiser des compétitions. Yannick Le Coz a, quant à lui, créé la Ligue régionale de surf. En créant l’esb, c’était important pour nous d’avoir un nom d’école français [et de ne pas faire appel à des anglicismes tels que “surf school”, ndlr]. On voulait mettre en avant le territoire et travailler au pays.

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Boom du surf et tourisme de masse, comment gérer la fréquentation des plages ?

Avec ses quelques 80 000 pratiquants en Bretagne, le surf, largement promu par le marketing territorial, participe à la forte fréquentation de certains sites. Les élus des communes du littoral doivent faire face à un nouveau problème : comment gérer les flux d’usagers sur les plages ?

L’été, à La Torche, à Plomeur (Finistère), surf, paddle et nageurs s’entassent parfois sur une bande d’à peine 100 mètres de long. Même chose pour les plages de Tréguennec ou encore à Saint-Jean-Trolimon, communes situées juste à côté. Pour se rendre à la plage de Goulien, située au cœur de l’anse de Dinan, à Crozon (Finistère), la route est étroite et sinueuse. Il faut traverser un petit hameau pour accéder au parking situé au pied de la grève. Lorsque deux voitures se croisent, l’une d’elle est forcée de se mettre sur le côté pour céder le passage. L’été, le parking est bondé et le flux d’automobilistes incessant. “Il y a à peine des vagues et il y a quand même du monde”, souffle cette surfeuse qui s’apprête à se jeter à l’eau en cette grise journée de juillet.

En Bretagne, la pratique du surf a le vent en poupe. Selon la Ligue régionale de surf, le surf compterait quelque 80 000 pratiquants. Une estimation obtenue par la Fédération française de ce sport de glisse “en s’appuyant notamment sur la fréquentation des plages et des écoles”, fait savoir Christine Hentic, directrice administrative et financière à la Ligue de Bretagne de surf. Ce boom du surf participe à la forte fréquentation de certains sites, entraînant parfois des conflits entre différents usagers à l’eau. Les élus locaux sont contraints de prendre des mesures. “Il est déjà arrivé que différents pratiquants s’invectivent. On est face à un nouveau problème”, souligne le maire de Saint-Jean-Trolimon, Jean-Edern Aubrée.

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Atelier de fabrication Gawood. Pour des planches plus vertes

Formé à la sculpture sur bois et surfeur, Gaël Le Thellec a lancé en 2016 Gawood, son atelier de fabrication de planches de surf en bois qui se veut le plus respectueux possible de l’environnement. Une solution face aux équipements dépendants de la pétrochimie.

Un masque anti-poussière sur le nez, Gaël Le Thellec termine de retoucher le rail [le côté, ndlr] d’une planche de surf que l’un de ses stagiaires de la semaine confectionne. Une fish, une planche qui a vu le jour dans les années 1960. Connue pour son volume, sa maniabilité et sa queue de poisson, celle-ci est de nouveau à la mode depuis le début des années 2000. “J’en ai une aussi, et c’est celle que je préfère”, confie l’artisan à la tête de l’atelier Gawood signifiant “Ga”, pour Gaël, et “wood”, pour bois.

C’est chez lui, à Tréméoc (Finistère), au cœur de son immense jardin peuplé d’arbres et habité par quelques poules et moutons, que Gaël Le Thellec a installé son atelier. Depuis 2016, il y fabrique des planches de surf en bois de paulownia, sur commande ou bien dans le cadre de stages. “Les stagiaires ont leur après-midi de libre aujourd’hui, il faut laisser la colle sécher avant de poursuivre le travail”, précise-t-il entouré de trois planches en cours de fabrication et cernées de serre-vis.

Une alternative au polyuréthane

Alors que la pratique du surf explose en Bretagne, entraînant avec elle la multiplication d’écoles de surf, de pratiquants libres ou encore de magasins spécialisés, Gaël Le Thellec, 36 ans, cheveux bruns bouclés et tongs aux pieds, fait partie de ces quelques entrepreneurs du surf qui tentent, du mieux qu’ils le peuvent, de verdir la pratique. Dans l’industrie de ce sport dit “nature”, à peu près tout l’équipement est issu de la pétrochimie : les combinaisons sont faites en néoprène, les planches en mousse ou résine polyuréthane et la wax – une cire à étaler sur la planche pour ne pas glisser – est majoritairement faite à base de paraffine. Gaël, lui, se fixe comme objectif dans son travail d’être “le plus respectueux possible de notre planète”, comme il l’écrit sur son compte Instagram. Ici, exit les pains en polyuréthane servant à créer la majeure partie des planches de surf, aussi appelées boards dans le milieu.

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Sur la plage de Saint-Malo, du surf en guise de thérapie

Marianne, Paule et François, tous trois résidents à l’Ehpad de l’Abbaye à Dol-de-Bretagne, profitent du soleil de juin pour aller surfer à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). À quelques pas de la ville close, sur la plage de Rochebonne, Hélène Rouault propose des cours de surf-thérapie à des publics ayant peu accès à la mer.

L’échauffement est primordial pour quiconque s’apprête à surfer. Bras parallèles au sol, les jambes légèrement écartées et les pointes de pieds tournées vers l’extérieur, Marianne, vêtue d’une combinaison en néoprène, plie les genoux puis les relève. Un, deux, trois squats avant de poser les rotules sur le sable puis de prendre le temps de se relever en faisant appel aux abdominaux. S’ensuit une nouvelle série d’exercices : mains liées, les poignets se plient tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite ; tantôt en haut, tantôt en bas. La nuque suit le mouvement.

En ce jour de juin, du haut de ses 87 printemps, Marianne laisse de côté sa canne, sans laquelle elle peine à marcher, pour poursuivre sa troisième saison de surf en compagnie de ses camarades Paule, 76 ans, et François, 80 ans. Là, à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), sur la plage de Rochebonne dominée par les volets fermés de bâtisses faisant office de villégiatures quelques semaines par an, se trouve Hina Surf, l’école de surf d’Hélène Rouault. L’établissement ouvre un champ des possibles à des personnes peu destinées à prendre la vague. “Les autres nous envient et nous demandent ce qu’on fait”, confie Marianne dont le vernis rouge carmin offre un contraste avec la blancheur rayonnante de ses cheveux.

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