Il y a exactement 70 ans, le premier numéro des Cahiers de L’Iroise, daté du premier trimestre 1954, paraissait. La volonté de ses créateurs, une vingtaine de Brestois déterminés, était de donner une nouvelle revue de grande qualité à l’extrémité occidentale de la Bretagne, sous l’égide d’une “Société d’études de Brest et du Léon”. Retour sur la naissance d’une publication dont les fondateurs n’imaginaient peut-être pas qu’elle deviendrait une élégante septuagénaire.
La vie intellectuelle est une tradition établie de longue date à Brest. Sous le règne de Louis xv déjà, une Académie de Marine, riche de soixante membres, organise conférences et causeries. Dans le même temps, l’effervescence des idées novatrices, la remise en cause progressive des absolutismes, sous l’égide des Lumières, dans la seconde moitié du xviiie siècle, conduit à la Révolution. L’Histoire populaire de la Bretagne, publiée fin 2019 par Alain Croix, Thierry Guidet, Gwenaël Guillaume et Didier Guivarc’h, nous rappelle à quel point elle est favorablement accueillie dans la cité du ponant par une majorité de la population d’extraction populaire, parfois à la limite de l’indigence, et de nature turbulente. Si, en 1788, seulement trois millions de Français savent lire et écrire, sur une population totale de vingt-huit millions, le xixe siècle voit l’instruction monter en puissance sur l’ensemble du territoire national. Dès lors, de nombreuses sociétés savantes s’installent, à Paris comme dans les villes de province et le nombre de journaux et de revues s’accroît considérablement.
Brest n’est pas en reste et une Société Académique y naît dans la deuxième moitié du XIXe siècle. L’époque est au positivisme et à la foi ardente en le progrès dans ses mul-tiples acceptions, scientifiques, médicales, sociales. On se prend même parfois à rêver que la science lève rapidement, et une fois pour toutes, tous les mystères métaphysiques : existence ou non de Dieu, autre forme d’existence ou néant après la vie terrestre… Hélas, la mobilisation générale du 2 août 1914 met un terme immédiat aux activités de la Société brestoise, à ses débats et réflexions.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une part importante de la vie culturelle en Finistère est coordonnée, au moins de manière informelle, par Adolphe Le Goaziou. Né en 1887 à Morlaix, étudiant à La Sorbonne, licencié en philosophie, blessé au combat en 1916, l’homme devient libraire-éditeur à Quimper dès la fin des hostilités, en 1919. Membre du Sillon, mouvement catholique à vocation sociale fondé par Marc Sangnier qui vise à rapprocher les classes laborieuses de l’Église, il est également engagé dans l’œuvre des Abris du marin (voir ArMen n° 258) et président du syndicat des libraires de France. Résistant durant la Seconde Guerre mondiale et scandalisé par les idées et activités cri-minelles d’autonomistes bretons qui pactisent honteusement avec le régime nazi, il est arrêté par la Gestapo en octobre 1943, emprisonné et heureusement libéré, faute de preuves, en avril 1944. Le conflit terminé, il prend une part active à la création d’Ouest-France et édite parallèlement, à partir de 1947, la Nouvelle revue de Bretagne, publication de référence vite renommée, consacrée à une réflexion d’ampleur, patrimoniale, historique, linguistique, culturelle, littéraire, sur la péninsule. Elle est imprimée à Rennes, mais ceux qui l’animent tiennent leur comité de rédaction dans la librairie quimpéroise de la rue Saint-François.
Adolphe Le Goaziou disparaît prématurément en septembre 1953 et la revue s’éteint pratiquement avec lui, deux mois plus tard, laissant un grand vide dans la vie intellectuelle bretonne. Chose étonnante, ce vide ne va pas être comblé sur les rives de l’Odet mais au bord de la Penfeld. La Nouvelle Revue de Bretagne quimpéroise est morte, Les Cahiers de l’Iroise brestois naissent. Mais dans quel contexte ? (..)