Anna-Vari ha Tangi : ur stourm padus hag entanus
Tangi Louarn est « né dans la marmite » de la langue bretonne. Anna-Vari Chapalain entendait du breton mais ne le parlait pas quand elle était petite. Par leurs luttes communes, ils ont eu une vie riche d’amitiés et de grands événements partagés, partout en Bretagne, en Europe et dans le monde entier. Militants des droits humains, ils veulent promouvoir toutes les langues minorisées, l’égalité des sexes…
Enfance et adolescence : la langue bretonne en héritage
Le petit Tangi est scolarisé en français en région parisienne alors que le breton est la langue de la famille. À neuf ans, il part pour la Bretagne avec son frère Malo pour être scolarisé dans l’école bilingue d’Armañs ar C’halvez, à Plouezec où sa marraine enseignait en breton.
Puis il va au collège à Lannion. Il continue à étudier en breton avec les cours par correspondance du second degré de SADED. A 11 ans, entré en 6ème, il écrit même à Erwan Evenou, initiateur d’un mouvement de jeunes bretonnants KAVY, en soulignant que « beaucoup d’élèves connaissent le breton, mais ne se soucient guère de la Bretagne ». Les jeunes ruent dans les brancards, et créent Skol an Emsav. Transformant les actions des précurseurs, KEAV (le camp interceltique des bretonnants), ils créent des antennes dans toute la Bretagne, des cours et des stages rassemblent des centaines de jeunes qui apprennent le breton dans les années 68/78.
Pas étonnant que les écoles Diwan, s’appuyant sur ce réseau de futurs parents et enseignants, se multiplient dès la rentrée 1977 dans toute la Bretagne. Après Lampaul-Ploudalmézeau, ce sont Quimper, Rennes, Lorient, Nantes, Guingamp et de nombreux autres sites qui continuent. Le mouvement Skol an Emsav représentait avant Diwan un rassemblement de jeunes dans des groupes de travail (édition, formation, finances, actions revendicatives, fêtes..) qui se retrouvaient dans les nombreux stages qui rythmaient toute l’année. Étudiants, salariés, tous les jeunes participaient à ce vaste mouvement d’éducation populaire.
Tangi travaille comme inspecteur du travail assez tôt, il fait son service militaire en Alsace et travaille à Nantes, puis à Quimper. Anna-Vari le rejoint, ils logent dans le quartier de Penhars. La rigueur qu’il met dans son travail se retrouve dans la lecture extrêmement précise des textes concernant les langues minoritaires.
Anna-Vari commence sa vie professionnelle comme employée administrative d’une PME, rejoint Tangi, travaille au Télégramme cinq ans, est adjointe pendant deux mandats à la mairie de Quimper, présidente du Bureau Européen des Langues Moins Répandues, dirige la revue en breton pour enfants « Moutig ».
Elle part au Pays basque en 1975 avec Anna ar Beg visiter les écoles en immersion créées en 1969. Elles reviennent persuadées que c’est la solution pour que la langue bretonne puisse être transmise, l’immersion étant la méthode la plus efficace.
Avec une cinquantaine d’autres défenseurs du breton, ils s’introduisent en 1984 dans l’émission de Michel Polac « Droit de réponse » à la suite d’une marche depuis Carhaix jusqu’à Paris. Un millier de personnes rejoint la marche, par cars, pour demander un meilleur avenir pour Diwan. Tangi marche les 500 kilomètres, Anna-Vari organise la communication autour de l’événement et prend l’initiative de forcer les portes de la télévision…
Ils participent à l’action du bateau Diwan dans la course du Figaro en 1993. Elle organise des événements majeurs comme Euroskol en 1988 à Brest pour les 10 ans des écoles Diwan avec Johnny Clegg devant 10 000 personnes, des colloques qui rassemblent 450 delegué.e.s des langues de France à l’Unesco à Paris, à Nantes, à Lorient avec des chercheurs du monde entier.
Après avoir été bénévole pendant des années, elle assure la direction des écoles Diwan de Bretagne à Landerneau pendant vingt ans (2001-2020). Aucun dossier ne lui échappe, les postes à pourvoir, les bagarres avec le Ministère de l’Éducation nationale… Diwan est aussi l’école de leurs trois filles.
Suivre la route tracée
On ne peut pas comparer les luttes militantes des années 1970 à celles de 2020. Le militantisme était vécu comme une façon de vivre, avec ses joies, ses aventures. En 2024, parler breton n’est plus une « exception » pour les jeunes : ils sont nombreux à le parler, au festival de Douarnenez et ailleurs, dans les médias, preuve que les jeunes ont du plaisir à échanger en breton et que la langue continue à être pratiquée. Chose impensable à l’époque où une poignée seulement de militants créaient Skol an Emsav… Et parler breton doit être associé au plaisir, à la créativité, à des convictions personnelles fortes portées par des personnes épanouies…
Erwan Le Pipec parle de « langue totem » dans un article qui donne à réfléchir. Pour Anna-Vari, le chemin est tracé, on a mis en place les bases d’une véritable politique linguistique pour la Bretagne. « Nous n’avons pas vécu cela comme une lutte, c’était la vie, et une vie super ! ». Toujours en mouvement, pour les réfugiés, les droits des femmes, il leur arrive de rire aussi, par exemple quand l’ancien footballeur en corpo Tangi, fan de l’équipe de Rennes, se moquait d’Anna-Vari, grande lectrice de polars peu portée sur le sport, peinant entre Audierne et Plogoff lors de la course anti-nucléaire Beg an Fri-Plogoff avec l’équipe de Skol An Emsav !