Spécialiste de numismatique, l’historien Yves Coativy, de l’université de Bretagne occidentale, revient sur une forme de monnaies méconnue, celle des jetons. Convoités par les collectionneurs, ils rappellent les grandes heures des États de Bretagne et des grandes villes de la péninsule.

Le jeton “banal” ou jeton de compte, en cuivre ou en laiton, existe en France depuis la fin du Moyen Âge. Il ressemble souvent à une monnaie et il sert à compter l’argent à une époque où des monnaies de différentes origines et valeurs circulent. Les jetons permettent aux comptables de convertir les sommes en livres, sous et deniers grâce à un abaque ou “jetoir”, un plateau sur lequel chaque rangée correspond à une valeur (unités, dizaines, centaines, etc.).

On aligne (on “jette” d’où le nom de jetons) les rondelles de métal dans les colonnes puis, quand une rangée est complétée, on enlève (on “déjette”), par exemple, les dix jetons des unités et on place un jeton dans la colonne des dizaines et ainsi de suite.

Cette pratique permet de ne pas avoir à poser des additions, exercice difficile à une époque où l’on utilise des chiffres romains et où il faut douze deniers pour faire un sou et vingt sous pour faire une livre… Les opérations se font en silence comme le rappelle un jeton breton de la Chambre des comptes du XVe siècle, “pour bien jeter et déjeter, faut bien entendre et peu parler” et il faut savoir rester concentré pour ne pas faire d’erreur de calcul comme le dit un autre : “jette sans faillir”.

L’opération est souvent représentée sur les jetons de Nuremberg qui sont alors produits en grande quantité et servent dans tout l’Occident. On les trouve, par exemple, fréquemment lors des fouilles archéologiques des châteaux de la région.

Jeton de Nuremberg au marchand qui compte.

Les jetons sont rapidement déclinés en métaux précieux, en argent et parfois en or, pour servir de gratifications discrètes. Ils permettent de dédommager les membres d’une institution sans donner l’impression de les payer, libre à ceux qui les touchent de les garder ou de les envoyer à l’atelier monétaire afin d’y être fondus. Les jetons se multiplient à l’époque moderne et à partir du XVIe siècle, en Bretagne, plusieurs institutions en émettent : les mairies de Rennes et de Nantes, la Chambre des comptes et surtout les États de Bretagne de 1641 à 1789.

Les séries uniformes des États de Bretagne

Apparus au XIIIe siècle, les États de Bretagne sont une instance de conseil du pouvoir ducal puis royal. Ils se mettent en place à une époque où le prince s’appuie, en théorie, sur le consentement de la population pour gouverner et sur son acceptation des taxes et des impôts. Aux États siègent des représentants des trois ordres, le clergé, la noblesse et la bourgeoisie, les paysans étant représentés par leurs seigneurs. Sous l’Ancien Régime, les “tenues” des États ont lieu tous les deux ans et les membres des États convergent alors vers une ville bretonne choisie pour les accueillir, souvent Nantes, Vannes ou Rennes mais aussi Fougères, Vitré, Dinan, Saint-Brieuc, Morlaix ou Ancenis.

Les jetons d’argent des États de Bretagne se présentent sous la forme d’une rondelle d’argent de 27 millimètres de diamètre, d’un poids d’un peu plus de 5 grammes. Après une période de tâtonnements, qui va de la fin du XVIe siècle aux années 1640, un premier modèle s’impose avec, à l’avers, une hermine “passante” ou au naturel, avec légende en latin puis en français. Le type reprend un modèle numismatique bien connu pour les petites monnaies de l’époque ducale. Le petit mammifère, qui court vers le bord de l’objet avec sa cravate et sur fond de mouchetures d’hermine, est une réussite graphique. On retrouve ce modèle sur le sceau des États, conservé actuellement à la Bibliothèque nationale de France. De tels jetons sont émis pendant quarante ans avec quelques variétés de détail.

Jeton à l’hermine passante

À partir de 1681, le type évolue avec, à l’avers, le portrait du roi et, au revers, les armoiries des États de Bretagne, un écu écartelé de France et de Bretagne timbré d’une couronne sur fond de manteau semé de mouchetures d’hermines et de fleurs de lys. Ce thème se répète habituellement tous les deux ans, au gré des tenues des États, et on peut suivre sur le portrait l’avancée en âge du monarque. Au début, ils sont frappés en petit nombre et remis à l’unité aux autorités de l’institution, puis l’inflation s’en mêle et on passe d’une centaine de jetons émis à chaque tenue au milieu du XVIIe siècle au millier et jusqu’à 12 000 à la fin de l’Ancien Régime. Cela dénote leur changement de statut des jetons, d’objets commémoratifs à celui de gratification, à partir sans doute de la tenue de 1661.

Jetons uniformes au nom de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

La suite est à lire dans le numéro 269 (novembre-décembre 2025) d’ArMen.

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