La lyre gauloise : réhabilitée, fabriquée et enseignée
Instrument symbole que le barde Assurancetourix a popularisé au fil des albums d’Astérix, la lyre gauloise n’en est pas moins méconnue, voire totalement oubliée. Pourtant, travaux et études archéologiques révèlent bien la présence de la lyre en Gaule et notamment sur le territoire armoricain avant l’invasion romaine, comme le confirme la découverte, en 1987, de la stèle à la lyre, à Paule, dans les Côtes-d’Armor. La recherche ne s’y était pour autant que très peu intéressée au moment où, il y a près d’une vingtaine d’années, Julien Cuvilliez, luthier-chercheur en archéo-musicologie, s’y plonge avec autant de passion que lorsque sa grand-mère, en Normandie, lui offrait des livres sur les bardes : “Ces personnages m’ont depuis toujours fasciné.”
Ce n’est pas par hasard s’il a donné le nom de Skald à son atelier, installé depuis une dizaine d’années en plein cœur du bourg de Kerpert (22) : le Skald est un important personnage de la culture nordique tenant à peu près la même place que le barde des cultures celtes. Ce barde justement dont la fonction était notamment de chanter les héros, les rois, les dieux, accompagné d’une lyre : “Ce n’était pas à proprement parler un instrument destiné à produire une musique d’agrément, elle était un support à la parole, un outil mnémotechnique venant en appui de la transmission orale”, rappellait Julien Cuvilliez, dans un entretien paru dans une publication de Dastum en 2016.
Au cours de ces premières recherches, il s’est vite rendu compte que le sujet avait bien peu intéressé la recherche : “Une pratique musicale avait bien été attestée chez les Gaulois mais nous ne savions pas grand-chose de plus, sans doute parce que les Gaulois ont été longtemps considérés comme un peuple arriéré, crasseux, dénué de sens artistique.” Même si ce regard change peu à peu, un autre fait rend la recherche difficile, à savoir la rareté des découvertes archéologiques. Cela vaut aussi bien évidemment pour l’objet lui-même : “Quand j’ai commencé à vouloir fabriquer des lyres, j’ai constaté que la facture de cet instrument n’était pas enseignée en école de lutherie, et du coup, j’ai fait mon propre compagnonnage auprès de différents artisans, menuisiers, ébénistes, tourneurs sur bois…” Tout en se plongeant parallèlement dans l’archéologie, la musicologie, l’organologie et l’ethnologie. Cependant, constate Julian, “il est vite apparu que je ne pouvais pas uniquement me fonder sur les connaissances disponibles en termes de lutherie médiévale dont la pratique est en rupture avec celle des temps plus anciens.” D’où la nécessité de prendre en compte l’époque, les moyens, les matériaux, le contexte social, l’art, la symbolique… “De manière générale, il convient de renverser l’approche de la lutherie, discipline récente qui est fondée sur des problématiques soumises de normes, de modes, de styles, et qui tend à uniformiser le geste de l’artisan tout comme le résultat de façon à concevoir des instruments produisant les mêmes sons.” Or la lyre, utilisée comme support de la parole, “devait certainement s’adapter aux parlers, tout comme, en Bretagne, l’expression musicale a épousé les particularités linguistiques locales affectant la rythmique et la mélodie”.
C’est dans cet esprit que Julian, rejoint en 2011 par Audrey Lecorgne, a créé, en 2015, le Pôle recherche, interprétation et archéologie expérimentale (priae) qui regroupe une équipe pluridisciplinaire comprenant archéologues, historiens, ethnologues, musicologues, linguistes, musiciens, archéo-artisans… Si les modes de fabrication de la lyre, par l’expérimentation, figurent dans les objectifs de ce pôle, la mission va bien au-delà : “Nous nous intéressons à la fonction de l’instrument comme vecteur de mémoire et de transmission, ainsi qu’aux répertoires, techniques et modes, ceci à travers l’étude de textes anciens et l’analyse des pratiques musicales traditionnelles des cent dernières années.” Ces travaux visent aussi à faire connaître la lyre au public le plus large et font l’objet de conférences dès 2016, notamment au musée archéologique de Jublains, au musée d’art populaire de Saint-Brieuc et au musée archéologique de Constance.