Esprit résolument indépendant, Jean-Michel Guilcher (1914-2017), l’est assurément dans toute son œuvre et jusqu’à sa dernière enquête d’envergure, parue au printemps dernier sous le titre Languidic, ce monde que nous aurions perdu. C’est essentiellement à la danse populaire que ses travaux les plus connus sont consacrés, notamment La Tradition populaire de danse en Basse-Bretagne (1963) et La Tradition de danse en Béarn et Pays basque français (1984). Néanmoins, ce n’est pas à son sujet d’élection que se rattache cet ouvrage. Un autre projet que la danse s’était effectivement imposé à la curiosité du chercheur ou plutôt une exigence de l’évolution de sa réflexion.

À l’origine de l’analyse d’un objet du champ ethnographique passablement négligé à cause de son insignifiance supposée ou de sa difficulté d’approche, il y a chez Guilcher une pratique de la danse comme source de sa compréhension interne. Un pas, une figure, un style, s’éprouvent d’abord dans un mouvement que l’on comprend d’autant mieux qu’on y entre soi-même. Le médiéviste Jacques Le Goff présentait avec raison son ami comme “un savant danseur”. Ensuite vient le temps de comprendre comment et pourquoi les danses populaires comportent un autre principe de mouvement, de nature historique celui-là. C’est la raison d’être de La Contredanse, les renouvellements de la danse française (1969). Ces deux sortes de mouvement convergent dans la notion de tradition au sens premier de transmission.

La tradition, cet autre fil conducteur des recherches et de la pensée de Guilcher, mène à une enquête à Languidic de 1970 à 1973, dans cette commune où son sujet initial l’avait conduit en 1953 et 1957. Il y avait alors perçu comme une propension à l’évolution susceptible d’être étendue à d’autres formes culturelles que la danse, d’autant que cohabitaient sur ce vaste territoire des facteurs de différenciation sociale, à l’ouest avec les forges d’Hennebont, à l’est dans le milieu des ouvriers du bois. Et nous voici, avec cette notion de milieu, au cœur d’une préoccupation née progressivement de la fréquentation de terroirs variés en différentes régions françaises : comprendre le dynamisme de la tradition n’impose-t-il pas de s’intéresser davantage à son conditionnement social ?

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