Distillerie des menhirs

Cinq générations de distilleurs à Plomelin

Traduction de l’article en breton paru dans le n°244 d’Armen

C’est en 1921 que Guilhaume Le Lay, dit Laouig, fit l’acquisition d’un alambic Deroy, premier d’une longue série à Plomelin. Un siècle plus tard, la famille a su accumuler expérience et réputation, de génération en génération, en produisant des nectars d’exception: le lambig bien sûr, de même que le cidre et le pommeau, et pour couronner le tout : un pur whisky breton, distillé à partir de blé noir… Tout ceci n’aurait pas été possible sans la volonté d’un solide breton : Guy Le Lay, issu de la quatrième génération. Pareille aventure méritait d’être célébrée par un livre. C’est désormais chose faite.

Un vieux métier sur le déclin

Bien des métiers ont disparu, qui animaient nos campagnes autrefois. Sabotier, rémouleur, chiffonnier, maréchal-ferrant, goémonier, et tant d’autres… Parmi ceux-ci le métier de bouilleur ambulant. Il fut un temps ou des centaines, des milliers de distilleurs sillonnaient le pays. On en comptait sept à Plomelin en 1955. Il n’en reste aujourd’hui que deux dans tout le Finistère. De nombreux opposants déployèrent leur zèle pour éliminer les bouilleurs itinérants. Les ligues antialcooliques, les grandes distilleries qui supportaient mal la concurrence des petits bouilleurs, et l’Etat  bien sûr, qui voyait d’un mauvais œil un corps de métier aussi incontrôlable sur le plan des taxes… Mille bouilleurs, mille fraudeurs ! Pas étonnant alors que leur aient été opposés autant d’obstacles, jusqu’à tuer le métier. Tout d’abord, les fermiers durent se contenter d’une franchise limitée à vingt litres. Puis la distillation ambulante fut interdite. Il fallait désormais se rendre dans des lieux fixes, étroitement surveillés. Enfin, en 1960, Debré supprima le droit des bouilleurs de cru à la mort du dernier époux titulaire. La messe était dite…

Contre l’avis de tous

Il en fallait plus pour ébranler la motivation de Guy Le Lay, un homme qui a coutume d’aller au bout de ses idées. Il avait fait ses études à Quimper, Brest et Nantes. C’est dans la cité des Ducs qu’il fit connaissance d’Anne-Marie Seznec, celle qui allait devenir son épouse et lui donner trois garçons : Kevin, Erwan et Loïg. Guy fut nommé professeur de mathématiques à Pleyben. Mais la passion de la distillation l’habitait. Il avait appris les tours du métier avec son père.  A la fin de l’année scolaire, il apprenait à ses élèves les rudiments de la distillation. Succès assuré ! Il était tellement accro qu’il décida de fonder une distillerie professionnelle, au début des années quatre-vingt, à une époque où toutes les distilleries fermaient boutique. Le fonctionnaire en charge du dossier chercha à le dissuader. En vain. Guy Le Lay n’a pas peur de son ombre.  Combatif autant qu’entrepreneur, il n’hésitera pas à envoyer paître une centrale de distribution trop gourmande !

« La Bretagne, mon pays pour toujours »

Les Le Lay ne placent pas la fortune en tête de leurs motivations. Guy veut apporter à son pays des richesses plus durables. « Mon énergie et mon imagination au service de mon pays la Bretagne ». S’agissant de la langue bretonne, Guy fera preuve de la même pugnacité. Il n’est guère surprenant que la seconde école Diwan de Bretagne ait été ouverte à Plomelin. Guy fut l’un de ceux qui envahirent le plateau de l’émission Droit de réponse, de Michel Polac, en 1984, pour attirer l’attention de milliers de téléspectateurs sur le sort misérable réservé à l’enseignement du breton et demander un statut décent pour nos langues. On ne rencontre jamais Guy Le Lay sur la grand-route des destinées pré-écrites. Il a fait sien le mot d’ordre de son lycée : « Ad augusta per angusta ». Comme il prenait grand plaisir à la distillation, il décida d’y investir ses dons. « Tout le monde a ses vibrations bretonnes. On peut les exprimer à travers la littérature, la peinture ou la musique. Moi j’ai choisi la fabrication d’alcool ». 

Eddu, un trésor bien caché.

Nul autre que Guy Le Lay n’eût pu trouver la force de surmonter tous les obstacles semés sur son chemin. Guy s’était rendu plusieurs fois dans les pays celtiques. L’idée de créer un whisky le travaillait, pour assurer un avenir plus stable à l’entreprise et à ses fils. Un beau jour, devant le spectacle d’un champ de blé noir en fleur, l’idée surgit comme une révélation. Désormais, Guy n’en démordra plus. Son whisky sera distillé à partir de blé noir cultivé en Bretagne. Mener ce projet à bien lui donnera pourtant bien du fil à retordre. 

Le blé noir avait connu une longue période de prospérité en Bretagne autrefois. Il n’était pas soumis à l’impôt. Il poussait vite sur des terres médiocres. Son rendement à l’hectare était certes modeste, de l’ordre de 12 à 15 quintaux, mais le rendement du blé n’était pas sensiblement supérieur,  à une époque où les engrais chimiques n’étaient pas encore connus… Jusqu’à 375000 ha furent cultivés en Bretagne au dix-neuvième siècle. Le blé noir avait presque disparu dans le années 70, au point que 70% des besoins sont aujourd’hui couverts par des importations. Toutefois, depuis quelques années, une filière de blé noir biologique se développe en Bretagne. Environ 5000 hectares sont aujourd’hui cultivés. 

Le premier Whisky que Guy distilla, dans des conditions expérimentales et avec le concours de l’Adria, était riche de promesses. Le blé noir dégage des arômes puissants, suaves, fruités et floraux. « Eddu » venait de naître. Mais quand furent achetés le moulin à céréales, la cuve de brassage, les filtres, la cuve de fermentation et l’alambic, ce fut une autre affaire. Impossible de reproduire la qualité des premiers essais.  Un expert international de Cognac vint à son secours : Robert Leauté. Après avoir gouté le produit, celui-ci déclara : «votre produit présente un potentiel énorme, mais il est bourré de défauts ; si nous parvenons à éliminer toutes ces tares d’ordre techniques, nous devrions réussir un breuvage exceptionnel ». Pari tenu, après près de trois ans de travail. En 2002  Eddu était lancé sur le marché, et en 2008, Guy confiait les rênes de l’entreprise à Kevin, Erwan et Loig, tous trois prêts à se remonter les manches pour aller de l’avant.

« Je suis fier d’avoir donné à mon pays un whisky comme il n’y en a nulle part ailleurs »

Une pluie de prix et de médailles ont récompensé le lambig et le pommeau de la Distillerie des Menhirs. Le whisky Eddu a connu la même fortune. Il fut couronné par le Prix de la Meilleure Nouveauté de Produit en Bretagne en 2005 à Saint-Malo, à l’occasion de l’assemblée générale de l’Association. Toute la famille Le Lay monta sur scène. Les cinq cent chefs d’entreprises présents furent émus et impressionnés quand Guy Le Lay leur raconta l’aventure d’Eddu, un whisky au sujet duquel Jim Murray écrira dans sa Bible du Whisky «This so proud to be different. And exceptionally good !»

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