Forme instrumentale séculaire, le couple binioù-bombarde revient chaque premier week-end de septembre sur le devant de la scène à Gourin à l’occasion de son traditionnel championnat. Le moment opportun pour s’interroger sur son histoire et son devenir.
L’apprentissage, forcément hors des cursus
On sait que l’initiation s’effectuait souvent dans le cercle familial chez les sonneurs dits “de tradition”, créant ainsi des générations successives de musiciens comme les fameux Magadur de Carnac ou les Salaün de Bannalec, qui connurent des périodes où leurs émoluments leur procuraient un statut envié de professionnels. Ces sonneurs faisaient figure de stars comme le fameux Michel Bidan, de Langonnet, qui exerçait son art au-delà des limites de son département. L’immédiat après-guerre vit leur étoile pâlir aux dépens de nouveaux instruments comme le saxophone, l’accordéon ou la clarinette, que d’ailleurs certains sonneurs adoptèrent pour s’adapter à la demande du moment. Cependant, l’action des milieux culturels bretons, ainsi que ceux très actifs de l’émigration, favorisèrent l’émergence d’un mouvement militant issu des cercles celtiques et des bagadoù. Lorsqu’on interroge Daniel Philippe, emblématique sonneur de bombarde du pays Plinn, il reconnaît en avoir bénéficié au collège où un enseignement, d’abord au pipeau, puis à la bombarde et enfin à la cornemuse, était prodigué en vue d’alimenter les effectifs du bagad scolaire. L’altération de cap vers le jeu en couple viendra d’Étienne Rivoallan, un des premiers champions de Bretagne avec pour compère Georges Cadoudal à la cornemuse. Après le décès de son mentor, Daniel Philippe reprendra le flambeau pour remporter le titre à son tour. Il puisera son répertoire et son phrasé chez les chanteurs, les sœurs Goadec, Grenel-Bolloré, Lomig Doniou ou Manuel Kerjean, incomparables selon lui “dans l’expression des structures de la danse”. Et ce n’est que quelques années plus tard qu’il se fera accompagner du binioù de Yann Bars, compère auquel succédera André Thomas à la fin des années 1970. Cette nouvelle formule instrumentale le séduira immédiatement car il lui trouvera “plus de raffinement, plus de facilité pour l’improvisation et au final, plus de liberté que dans le jeu avec la cornemuse écossaise”.
Itinéraire similaire pour Hervé Irvoas, sonneur de binioù de Châteauneuf-du-Faou, de la même génération, qui reçut une initiation au lycée de Morlaix, établissement où un bagad figurait au rang des activités extra-scolaires. Cette première approche visait à renforcer les pupitres de ces jeunes bagadoù. Sonner en couple était une tout autre affaire, et c’est l’affirmation d’un choix qui mènera ces adolescents vers une forme de musique plus risquée. En effet, sonner en couple ne permet plus de s’abriter derrière ses camarades de pupitre, il faut oser se transformer en soliste. Si le binioù-bras était l’interlocuteur de la bombarde dans le jeu en couple, quelques pionniers eurent l’idée de remettre le binioù en usage. Un seul bourdon, un tuyau mélodique à l’octave de la bombarde, voilà qui procurait un espace supplémentaire de liberté à ces jeunes musiciens. Le binioù s’autorise des variantes dans ses réponses, la bombarde pouvant également s’appuyer sur ses jeux rythmiques qui relancent l’intérêt de la danse. Mais une constante demeure chez tous les sonneurs de cette génération, les adeptes du binioù ne possèdent aucune méthode d’apprentissage au contraire de la cornemuse écossaise où la moindre ornementation figure sur la partition. “Je reproduisais ce que j’entendais, glisse Hervé Irvoas, c’était un apprentissage sauvage !”
(…) la suite est à retrouver dans le n°244 d’ArMen.