Près de Guingamp, la Coop des masques a lancé une production de masques FFP2 et chirurgicaux, et va employer une quarantaine de personnes. 45 millions de masques sortiront chaque année de son usine pour faire de la Bretagne une terre résiliente et solidaire.
À la Coop des masques, en ce mois de mars, les lignes de fabrication tournent à plein régime et les opérateurs s’activent. Le bâtiment, installé dans la zone industrielle de Grâces, près de Guingamp, est vaste et encore vide par endroits. Dans le hall d’entrée, une vitre permet aux visiteurs de voir les ouvriers au travail. Devant les lignes de production, le directeur, Patrick Guilleminot, explique le processus. “Le principe de base sur les deux machines est le même : vous avez différentes matières et, avec elles, on va constituer un voile que l’on va fixer par des soudures à ultra-son et dans lequel nous allons intégrer les barrettes et les élastiques.” Le bruit est constant quand les deux machines tournent. “La différence entre les masques FFP2 et chirurgicaux, c’est que nous avons davantage de média filtrant sur le premier que sur le second”, poursuit Patrick Guilleminot. Devant nous, la machine travaille à une vitesse folle. Les rouleaux de spun et de melt tournent. “Le meltblown, à l’intérieur, c’est le média filtrant. Le spun, c’est ce qui va venir autour !”, décrypte Joël, l’un des opérateurs. La barrette nasale est insérée. Le masque est replié avant de faire les soudures, puis retourné pour poser les élastiques. Chacun d’entre eux est contrôlé avec une caméra. Si le masque est bon, il part dans des cartons de cinquante unités. S’il n’est pas bon, il est éjecté. La question de la sécurité est évidemment centrale dans cette chaîne de production. C’est le rôle de Myriam. Elle vient piocher à intervalle régulier en sortie de ligne pour contrôler si le masque est bon ou pas. Dans son laboratoire, Myriam place un masque FFP2 sur une tête factice à l’intérieur d’une boîte isolée. “J’ai fait un test de filtration à la paraffine. On doit avoir 94 % de filtration minimum et là, ce masque est à 95 % : on est dans la norme !” Elle teste avec différentes tailles de particules, et à différents niveaux de pression. “Si un masque est défaillant, je vais voir à la production et je leur dis que, entre là et là, il faut rectifier.”
Avant d’en arriver là, l’histoire a commencé dans le contexte du premier confinement, il y a un peu plus d’un an. À l’époque, c’est à qui paiera le plus cher pour récupérer le plus de masques de protection ! Les États-Unis sont pointés du doigt, sur les tarmacs chinois, mais les Européens ne sont pas en reste… La France bloque des cargaisons destinées à l’Italie et à l’Espagne. “Je me suis dit que ce n’était pas possible : au bout de quinze jours, on était déjà dans la sauvagerie au sein même de l’Union européenne…”, raconte Guy Hascoët, le président de la Coop des masques. “J’ai eu ce coup de nerf le 25 mars, et deux jours après, je reçois un coup de fil me présentant un projet et me demandant d’y participer !” Le projet en question ? Relancer une usine de production de masques en Bretagne. Dans les Côtes-d’Armor, cela fait sens : deux ans auparavant, l’usine de masques Honeywell avait fermé brutalement à Plaintel, près de Saint-Brieuc. La production était délocalisée en Tunisie et les derniers salariés avaient été licenciés. Un traumatisme pour ce bassin d’emploi. D’anciens salariés de l’usine de Plaintel s’emparent du dossier, avec des personnes issues des milieux syndicaux et associatifs. Ils veulent des collectivités et des citoyens à leurs côtés. Et ils imaginent créer une société coopérative d’intérêt collectif pour être sûr d’avoir tout le monde autour de la table. Un nom est évoqué pour monter ce projet : Guy Hascoët. L’ancien député du Nord a été secrétaire d’État à l’Économie solidaire dans le gouvernement Jospin et, à ce titre, à l’initiative de la loi qui a créé les scic. Il était aussi tête de liste Europe Écologie Les verts aux élections régionales de 2010 en Bretagne. “J’ai dit oui sur le principe, les deux présidents des Côtes-d’Armor et de la Région ont signé une sorte de lettre de mission. Cela n’a même pas pris dix jours !” Mais un mois et demi plus tard : patatras ! Les ex-cadres de Plaintel décident de s’associer avec un investisseur extérieur pour monter un autre projet. L’idée de Coop des masques étant tout de même suffisamment solide, une nouvelle équipe est constituée et un nouveau site de 4 000 m² trouvé près de Guingamp. Par un curieux hasard, il avait été occupé pendant longtemps par une très vieille société coopérative de production, l’aoip, l’Association des ouvriers en instruments de précision, laquelle avait employé jusqu’à un millier de personnes à Guingamp !
Des contacts sont alors pris pour évaluer le marché et surtout la faisabilité économique du projet. Une première hypothèse de travail est livrée à la mi-mai 2020. Les différents partenaires donnent leur feu vert à la mi-juin. Mais la spéculation autour du prix des matières premières complique l’affaire. “Le melt est passé de 8,50 € à 130 € pendant la période, avant de faire du yo-yo. Il était impossible d’être dépendant d’une matière première qui bougeait tout le temps !”, s’insurge Guy Hascoët. “Comme j’ai été député de Roubaix, je suis remonté par l’intermédiaire de l’Union des industries textiles du Nord où j’avais quelques vieilles connaissances jusqu’au ceti, le Centre européen des textiles innovants. Ils m’ont alors dit que non seulement, ils avaient une machine et qu’ils allaient la basculer en production en urgence, mais qu’ils souhaitaient relancer la filière française.” Un appel à manifestation d’intérêt est lancé par la direction des entreprises au ministère de l’Économie. “Nous avons déposé les statuts de notre société le 19 juin et nous devions remettre notre dossier de candidature pour le 30 ! Nous avons eu une réponse de principe en juillet nous disant que nous étions retenus parmi les probables lauréats à condition d’avoir bouclé notre montage financier.” (…)