Lukaz Nedeleg : transmettre la flamme
Lukaz Nedeleg, en passe de devenir docteur en Sciences de l’Éducation, a choisi de quitter l’université pour s’en aller apprendre le métier de conteur dans le sud de la France. Originaire de Plonévez-Porzay, il s’installe à Douarnenez. Mais comment raconter des histoires de ce pays de vent et de mer, sans parler la langue de ceux qui les ont inventées ?
À l’origine de sa passion, Alain le Goff
Enfant, Lukas écoutait souvent, dans l’auto familiale, la même cassette audio en compagnie de son frère : un enregistrement d’Alain le Goff. Il connaissait ses histoires par coeur. Mais petit à petit, à force de les raconter encore et encore, ses amis ont fini par lui dire : « Lukas, tu n’es pas Alain le Goff, tu dois choisir ta route, ta voix, tes histoires ». Il écoute leur conseil et s’en va suivre une formation professionnelle de conteur, quittant sans doute une vie plus sécurisante, mais moins créative.
Pourquoi conter en breton ?
Quatre années entre Toulouse et Montpellier, et Lukaz revient en Bretagne. » Il me manquait quelque chose d’essentiel : ma langue. Je ne serais pas capable de conter si je n’étais pas bretonnant, si je ne faisais pas vivre mes personnages en breton ». Il apprend le breton à Rennes avec Skol an Emsav. « Parfois, je reproche à mes parents de ne pas m’avoir scolarisé à Diwan. Ils me répondent qu’ils n’avaient pas envie de faire de moi un enfant différent. C’est peut-être ce qui m’a donné l’énergie d’apprendre ».
Le confinement, l’avenir : deux raisons pour créer ?
En résidence pour « l’Albatros », son spectacle joué dix fois déjà, après des ateliers théâtre avec les collégiens Diwan… « Je continue à créer. Au début du confinement j’étais très inquiet, mais maintenant on s’est adaptés aux règles imposées. Depuis l’hiver, je prépare un set de nouveaux contes. Il faut continuer à vivre… Il y a des choses magnifiques qui se passent ici, à Douarnenez : on joue dans des fermes, dans des petits lieux… » Lukas a donc écrit de nouvelles histoires pour les promenades contées de l’été, qui ont fait le plein l’an dernier. En parallèle, il travaille avec des musiciens. « Je suis en train de préparer un spectacle de rap avec Gweltaz Foulon, après une séance au collège Diwan de Nantes. J’écris des paroles en breton, et j’espère pouvoir présenter bientôt le résultat « . Si, pour la poésie, il écrit principalement en français, « pour le rap, le breton vient beaucoup plus facilement. Avec le rythme, l’instrumentation, je suis beaucoup plus inspiré en breton qu’en français ». Par ailleurs, au sein de la Compagnie théâtrale La Obra, il prépare avec Aziliz Bourgès et Belen, artiste chilienne, « Une vie en pièces » à partir de textes de Shakespeare. Sur le thème des fantômes qui nous habitent, elle sera jouée en trois langues (breton, français, espagnol).
Un réseau de conteurs bretonnants pour perpétuer les arts de la parole ?
« Beaucoup de monde ici aime le conte et sait l’importance de la littérature orale, de la parole improvisée, de la parole qui vient des souvenirs. Et pourtant le conte en breton s’éteint, il faut le dire ». Il n’y a pas un mois sans qu’on vienne lui demander « de venir conter en breton pour les enfants, car ils adorent ça. »Pour autant, il ne se sent pas encore capable de le faire complètement. Il n’est pas le seul dans ce cas. « Ce qui nous manque, c’est un groupe de conteurs bretonnants, qui ont plus d’expérience, qui nous donnent des conseils sages sur la langue utilisée, la façon de conter. Celle-ci change, quand on change de langue. Se voir est la priorité, partager le feu qui est en nous pour les histoires, les histoires de ce pays, pour rentrer à la maison avec le sentiment d’être de la même terre d’une certaine façon . Pour l’instant, je n’ai pas ce sentiment ».
La parole qui soigne, la parole qui sauve
Venir s’asseoir sur une chaise, sans artifices, pour raconter des histoires devant un public peut paraître désuet, d’un autre temps, et pourtant, les spectateurs sont toujours là, nombreux. » Nous vivons dans un monde incroyable, avec des écrans, de l’opéra, des films… Et pourtant il y a encore et toujours des gens à venir écouter quelqu’un conter. Peut-être qu’il y a dans ces histoires quelque chose dont on a besoin pour continuer à vivre ? Dans les cours que j’ai donnés à l’université de Rennes en Sciences de l’Éducation, j’ai étudié des auteurs comme Pierre Laforgue par exemple, qui ont expérimenté le conte en milieu hospitalier, avec des personnes handicapées, avec des adolescents en difficulté… afin de les soigner plus efficacement. Les contes parlent à l’âme, l’atteignent directement. Chaque personne du public revient à la maison avec ces histoires qui continuent à vivre dans leur esprit et qu’ils comprennent petit à petit. Les contes sont des clés qui nous aident à mieux comprendre le monde. «
Blog de Lukaz Nedeleg : lukaznedeleg.com/br/degemer/