Les landes et tourbières représentent des paysages parmi les plus emblématiques de la Bretagne. Mais l’évolution des usages, et notamment des pratiques agricoles, font qu’aujourd’hui ces milieux sont menacés. Un programme européen, Life, porté par le parc naturel régional d’Armorique, vient d’être lancé pour restaurer des espaces de landes en Finistère.

Dans les monts d’Arrée, sur le Yeun Elez, des landes roussies entourent sur plusieurs kilomètres quelques bosquets et des roc’h embroussaillés. La vue porte loin, sauf les jours où une chape de brouillard ou de nuages bas encapsule les tourbières en bas, vers le lac. C’est le domaine de l’ankou, dont la charrette aux essieux grinçants peut se faire entendre la nuit. Et puis ne dit-on pas que l’une des portes des enfers se trouve cachée dans l’obscurité du youdig ? “Entendre l’ankou, c’est assez fréquent”, sourit Yann Foury, animateur à l’association Addes (Association d’aide au développement économique et social). Le voir est plus inquiétant.” Depuis environ vingt ans, l’addes s’est spécialisée dans la découverte de ces paysages en proposant des balades contées dans les bois et les landes à partir du village de Botmeur.

La lande est-elle un espace mystique, de rêve et d’imaginaire ? Un espace naturel ? Ou un espace de vie ? La lande, pour le monde agricole, est d’abord un mode d’occupation du sol. Une zone peu ou pas productive, parfois abandonnée… C’est aussi un paysage. Un espace façonné par la main invisible de l’homme à travers les siècles, comme ailleurs dans les montagnes. “Le paysage qui m’entourait, en apparence si authentique et sauvage, avec ses arbres, ses pâturages, ses torrents et ses rochers, était en fait le produit de siècles de labeur, un paysage artificiel au même titre que celui de la ville. Sans l’homme, rien de ce qui était là-haut n’aurait été pareil. Pas même le ruisseau, ni certains arbres majestueux. Même le pré où je prenais le soleil aurait été une forêt dense, rendue impénétrable par les troncs et les branches tombées, les rochers couverts de mousse, et un sous-bois rempli de genévriers, de buissons de myrtilles et de racines intriquées.”, écrit Paolo Cognetti(1), racontant ses montagnes du val d’Aoste. Ces mots font aussi écho à l’histoire des monts d’Arrée. Ce sont d’abord des communautés religieuses – et leurs paysans – qui façonnent cet espace à partir du Moyen Âge. Dès le xiie siècle, deux grands sites y rayonnent : l’abbaye cistercienne du Relec, aujourd’hui sur la commune de Plounéour-Ménez, et la commanderie de l’Ordre de Malte à La Feuillée. Ces deux structures mettent en œuvre un système original, la quévaise, pour défricher et cultiver les terres. L’abbaye était propriétaire et mettait à disposition des terrains que les paysans, venus d’ici ou d’ailleurs, devaient en contrepartie défricher, transformant les monts d’Arrée en un espace ouvert de prairies, et aussi de landes, un milieu dominé par des fourrés bas et des végétaux ligneux.

“Les landes des milieux secs et des milieux humides, on peut les avoir sur un même site, avec des gradations. Sur les crêtes des monts d’Arrée, on va être sur un sol très pauvre et très sec, soumis au vent. En descendant un peu se trouvent des landes dites ’mésophile’s”. Dans les cuvettes et les creux, ou plus bas dans les pentes, on va se retrouver avec des landes humides ou tourbeuses. Et plus bas encore, quand le milieu est vraiment très humide, on arrive sur des tourbières. Il peut y avoir une continuité des landes et des tourbières au niveau topographique. Ces deux types de milieux sont différents, même s’ils ont en commun d’être très contraignants, avec très peu de plantes qui peuvent s’y développer, commente la botaniste Agnès Lieurade, du Conservatoire botanique national de Brest (cbnb). “Quand vous faites un relevé floristique dans une lande, parfois vous ne recensez que quatre ou cinq espèces et, grand maximum, une dizaine. C’est très peu par rapport à une prairie où, sur seulement trois mètres carrés, on peut observer jusqu’à quarante espèces !” Un mot caractérise la lande, ainsi que les tourbières : l’oligotrophie (du grec, “peu à manger”). Dans ces endroits, très peu d’éléments minéraux sont disponibles dans le sol pour les espèces végétales. Et c’est la raison pour laquelle s’y développe une flore particulière, adaptée à ce milieu très pauvre. Certaines plantes sont caractéristiques. En particulier des Éricacées comme la bruyère cendrée, la bruyère ciliée et la bruyère à quatre angles. S’y ajoute la callune, qui n’est pas tout à fait une bruyère, mais qui fait partie des Éricacées, comme la myrtille, elle aussi fréquente sur les crêtes rocheuses. On rencontre fréquemment des ajoncs. “Dans les plantes qu’on appelle compagnes, on va avoir de la molinie, une grande herbe, et aussi du polygala à feuilles de serpolet, de la potentille, de la fougère aigle, de la scorsonère, de la serratule des teinturiers, ou encore des orchidées…” Et, bien cachées, des espèces à forte valeur patrimoniale, comme la gentiane pneumonanthe ou le lycopode sélagine.

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