Contrairement à d’autres régions de France, la région Bretagne n’a jamais vraiment vu disparaître la consigne en verre de son paysage. Si elle était la norme jusque dans les années 1980, elle a connu un essoufflement à l’ère du tout jetable, pour revenir au goût du jour voici quelques années. État des lieux des différentes initiatives et de leurs porteurs et porteuses.
“Faire de la bière de base, ça n’a rien d’écologique, c’est énormément d’eau, de l’énergie et de l’électricité… mais comme c’est un produit essentiel, le but c’est de la produire du mieux possible !” Du côté de Rennes, dans la ferme brasserie artisanale Drao, première en Ille-et-Vilaine et pionnière sur le ré-embouteillage, Rozenn Mell, la fondatrice, résume en riant l’une des raisons de son implication. “Choisir le réemploi n’est pas la solution la plus facile à mettre en œuvre, mais on le fait parce qu’on a de réelles convictions. Et puis l’énergie va coûter de plus en plus cher, et il nous faut donc voir sur le long terme.” Chez Drao, chaque étape du processus de fabrication de la bière a été soigneusement étudiée pour limiter l’impact sur l’environnement. L’orge maltée est produite localement à la ferme, tandis que le houblon vient d’Alsace. L’embouteillage n’utilise que des bouteilles de 75 cl et la recette de la colle de l’étiquette est à base de caséine, pour se détacher facilement lors du lavage. Les fûts sont en inox et les cartons en papier recyclé… Pour ses bouteilles, qu’il lui paraît inconcevable de ne pas réemployer, Rozenn se rapproche de Boutin Service, un atelier de lavage à Clisson. L’alternative est plutôt avantageuse par rapport à l’achat d’une laveuse en interne, même si elle déplore l’absence d’une filière régionale (qui est sur le point de réapparaître). En attendant, Rozenn Mell se lance seule dans l’aventure, portée par son envie de faire bon, local et durable. “Cela n’a pas été facile à mettre en place au début, se remémore-t-elle. Les clients étaient si enthousiastes qu’ils ramenaient toutes les bouteilles, même celles des autres, mais ça ne marche pas comme ça. Depuis, on a communiqué, on a installé devant un casier pour déposer les bouteilles à n’importe quel moment, et là, ça fonctionne.” La brasseuse, même si elle a parfois l’impression d’être une “goutte d’eau”, reste motivée par le sens qu’elle donne à son métier et aussi en observant les pratiques évoluer dans le bon sens autour d’elle.
Un progrès qui vient du passé
“On a oublié qu’il y a soixante ans, tout le monde lavait ses bouteilles. En fait, on s’inscrit dans la continuité d’une époque. On a l’impression de redevenir à la mode mais c’est ironique : tout est resté à l’ancienne en fait. En Bretagne, on a encore 14 stations de lavage sur le territoire. C’est beaucoup.” Morgan Berthelot, artisane cidrière depuis neuf ans chez Coat-Albret à Bédée, s’amuse du “retour” de la consigne sur le devant de la scène, elle qui lave ses bouteilles en interne depuis 1983. “Depuis que l’entreprise existe, on s’est équipé d’une machine à laver les bouteilles, pour des raisons de bon sens. On livre essentiellement, et en direct, des crêperies : on livre une bouteille pleine et on ramène une bouteille vide. Nous, les cidriers, avons le plus grand taux de retour du fait qu’on travaille essentiellement avec des crêperies qui jouent le jeu. C’est la différence par rapport à ceux qui travaillent avec les grande et moyennes surfaces.” Si l’entreprise aux 350 000 bouteilles produites chaque année peut se féliciter de récupérer près des deux tiers de ses flacons vendus, le lavage est à peine mentionné, juste une petite phrase sur le site internet. Étonnant quand aujourd’hui la consigne est devenue un argument marketing, au même titre qu’un approvisionnement bio ou local. Morgan l’explique par le “bon sens paysan”, que les cidriers mettent moins en avant que les artisans brasseurs ou vignerons. Acheter une bouteille, la consommer, la ramener en point de collecte, un geste qui n’est pas encore réflexe chez les générations actuelles. Et pourtant, il représente un net progrès tant sur l’aspect environnemental, qu’aux niveaux économique et social. Quelques chiffres pour l’illustrer : les bouteilles consignées sont lavées à 70 °c avec un peu de soude, alors que le verre recyclé est chauffé plusieurs jours à 1 500 °c. Sans compter que pour recycler une bouteille, il faut ajouter 40 % de verre neuf aux 60 % de calcin, le “vieux verre”, alors qu’une bouteille peut être lavée et réemployée jusqu’à 50 fois. Par ailleurs, il faut savoir que sur le territoire breton, il n’existe même pas d’usine de recyclage du verre, le matériau doit donc parcourir les 400 kilomètres qui le séparent de l’usine la plus proche, à Cognac. Le lavage permet d’économiser jusqu’à 33 % d’eau et 79 % d’émissions de gaz à effet de serre (source : Cabinet Derroche Consultants).
Économiquement, la cidrière de Coat-Albret économise près de 20 centimes par bouteille : “Le lavage nous permet de réduire le coût de la bouteille à 11 centimes, alors qu’il est de 25 à 30 centimes pour une bouteille neuve. C’est du simple au triple.” Il faut noter cependant que l’absence de coûts de collecte, que Morgan évite en récupérant les bouteilles vides lorsqu’elle livre les pleines, contribue aussi à réduire le coût. Parce que oui, ce qui pèse sur le réemploi, économiquement et écologiquement, et qui restera un frein tant qu’une filière régionale ne sera pas en place, c’est le coût de collecte.