Hervé Le Huédé avec le flamboyant champion de boxe Ray Sugar Robinson en compagnie de Vincent R. Impellitteri, maire de New York, sur le Liberté en octobre 1950. ©Collection Bruno Richard

Le 11 mai 1960, le commandant Hervé Le Huédé sort de sa retraite pour assurer le lancement du France. Pour l’occasion, il a revêtu son uniforme de capitaine au long cours à quatre galons. La direction des Chantiers de l’Atlantique a, pour cette manœuvre délicate, fait appel à ce grand marin, le dernier commandant du Normandie qui avait bouclé sa carrière avec le commandement du Liberté (ex-Europa), neuf ans plus tôt. 

Le marin du Bourg-de-Batz en pays Guérandais, alors âgé de 64 ans, endosse ce jour de mai 1960 le rôle “d’accoucheur” du dernier fleuron de la cgt (Compagnie générale transatlantique, surnommée la “Transat”). Il retrouve le futur pacha du France, Georges Croisile, qui a été lieutenant sous ses ordres sur le mythique Normandie. Il y a, on le comprend, une grande complicité entre ces deux-là. Le lancement est un instant délicat où une grande maîtrise est associée à une connaissance parfaite de l’estuaire de la Loire avec ses courants, ses bancs de sables et ses rochers. Le moment particulièrement délicat de la manœuvre est de maîtriser l’arrêt du navire suite au lancement. Pour ce faire, quatre câbles de retenue avec des chaînes d’un poids total de 500 tonnes sont largués à un moment très précis pour ralentir le navire. Le calcul du poids des chaînes a été confié à un jeune ingénieur, André Chémereau, qui deviendra dans les années 1970 le responsable du programme des méthaniers. Lors des manœuvres, après que le France eut épousé la mer, Hervé Le Huédé ne cachait pas avoir eu quelques sueurs froides à cause du remorqueur Duguesclin qui, selon ses dires, (correspondance privée) “a manœuvré comme un char à bœufs”: “Pendant 11 minutes, je n’avais qu’un seul remorqueur de 1 200 chevaux à l’avant alors que le France avec ses 32 000 tonnes était en plein courant de flot…” Après quatre heures de manœuvre, à peine débarqué, sollicité de toutes parts, il se contenta de répondre, aux journalistes qui lui demandaient ses impressions, qu’il rêvait “d’une bonne soupe à la maison !” Les journalistes allaient se contenter de cette franche réponse alors qu’ils imaginaient une tout autre réaction après un tel moment historique. Le pacha de tant de paquebots prestigieux n’était toujours pas adepte de propos emprunts d’une certaine mondanité. 

Quel symbole que d’assurer le lancement du nouveau navire amiral de la Transat pour celui qui fut le dernier commandant du Normandie. Dix-huit ans plus tôt, il avait assisté impuissant, le 9 février 1942 sur le quai new-yorkais, à l’agonie du fleuron de la cgt. Comme il aimait à le rappeler, il fut le premier officier à monter sur le Normandie à Saint-Nazaire en 1932 et le dernier à le quitter 10 ans plus tard dans le port de New York. (…)

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