Réserve du Trégor, photo Christophe Rouxel

La réserve de vie sauvage du Trégor, sur la commune de Ploubezre, dans les Côtes-d’Armor, est une petite aire protégée à la fois originale par son statut foncier et sa conservation non dirigée. Si la conception de la “libre évolution” qui y est promue peut être perçue par certains opposants comme “une mise sous cloche” portée à son paroxysme, cette image est inappropriée si on examine cet îlot sous un angle socio-écosystémique à une échelle paysagère territoriale et ses enjeux associés.

Un site de conservation singulier 

Inaugurée en 2017, la Réserve de vie sauvage du Trégor est une aire protégée se rattachant aux zones de nature sauvage (Statut Ib) de la classification de l’Union internationale de conservation de la nature (uicn), la troisième du genre de l’Association pour la sauvegarde et la protection des animaux sauvages (aspas). Initialement, le site, constitué de quatre parcelles forestières gérées en taillis sous futaie et réparties le long de la rive ouest du Léguer, était rattaché au domaine de 600 hectares de la fondation de Rosanbo présent sur la commune de Lanvellec. La réserve est devenue dans un premier temps un refuge aspas où la chasse y est alors interdite. Pour devenir Réserve de vie sauvage, ce site a fait l’objet d’un don de son administratrice avec une extension des interdictions : pas de circulation d’engins motorisés, ni de camping. Pêche et cueillette y sont dorénavant proscrits. La coupe de bois y est aussi interdite, hormis les cas exceptionnels liés à la sécurité de la promenade ou de la randonnée à pied ou en vtt, les seuls usages finalement autorisés sur les sentiers balisés prévus à cet effet (deux boucles de 1,5 et 5 km). Cette réglementation, établie dans une charte associée à cet espace labellisé, est jugée plus stricte, selon son conservateur, que celle des parcs nationaux de l’État ou d’autres réserves gérées par des associations de protection de la nature puisque dans les faits, la protection intégrale n’y est pas appliquée en raison de la tolérance ou de l’autorisation de certains prélèvements biologiques.

Une traduction de la libre évolution forestiere 

C’est la libre évolution qui caractérise les “modalités de gestion” ou, c’est selon, de “non-gestion” de cette jeune réserve de vie sauvage. Leurs promoteurs ont pour ambition de voir cet espace recouvrer des processus écologiques plus spontanés, car non soumis à l’influence et aux interventions humaines. L’interdiction totale des usages précités peut être vue comme un moyen d’éviter de trop grands prélèvements cumulés, impossibles à contrôler et impactant négativement les potentiels recherchés en termes de biodiversité et d’hétérogénéité forestière. Cette différence de perception peut expliquer des conflits avec certains vététistes qui créent de nouvelles pistes. La logique de la libre évolution concourt d’abord à une relative fermeture du milieu.

L’objectif sur le temps long ne porte pas sur le suivi de valeurs écologiques bien établies, encore moins sur des indicateurs de présence et d’abondance floristique et faunistique en lien direct avec des objectifs traduits dans des plans de gestion, comme cela peut se faire classiquement dans certaines aires protégées ou dans les opérations de réensauvagement par la réintroduction ciblée d’espèces. Il se situe dans le prolongement d’un second concept, celui de la naturalité qui est de laisser advenir des dynamiques écologiques et des structures forestières plus proches du sauvage et qui tendent de proche en proche vers la constitution de forêts anciennes, aussi bien au niveau de la ripisylve jouxtant le Léguer que dans les portions forestières planes ou sur pente. In fine, il ne s’agit pas de revenir à une forêt imaginaire du passé mais d’aller vers une forêt où, à partir de son histoire passée et ses facettes actuelles, croissent progressivement les multiplicités de ses composantes en termes de hauteur, de strates, d’âge, de micro-habitats, de lignées évolutives, d’espèces ou de groupes fonctionnels, sans que celles-ci ne soient a priori prévisibles.

Au regard de la présence de cet îlot forestier dans le paysage rural, perçue comme une mise sous cloche aux yeux de ses opposants en raison de sa réglementation parée de restrictions jugées drastiques, il y a lieu de prendre de la hauteur. Aux échelles de la commune et de l’agglomération, ces 60 hectares représentent respectivement 1,9 et 0,07 % de leur superficie. Quant aux 1,25 km de pêche interdite (sur la moitié du lit du Léguer jouxtant la réserve), ils représentent 2,2 % de sa longueur. Cet espace où l’on restreint la main de l’homme en fait un espace singulier au sein d’une trame paysagère composée également d’un chevelu hydrographique avec des portions labellisées “Site rivières sauvages”, d’autres espaces forestiers avec des gestions différentes les unes aux autres, d’espaces agricoles plus ou moins bocagers, de bourgs et de villes, et où se dessinent en filigrane d’autres enjeux qui renversent le postulat de départ. Nous sommes en présence d’une cloche renversée, dont il s’agit de croiser les regards. (…)

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