La légende de la forêt de Scissy, en baie de Mont Saint Michel

Les habitants de la baie du mont Saint-Michel continuent à véhiculer le mystère d’une forêt engloutie qui aurait existé au viiie siècle. Cette croyance populaire a la peau dure puisqu’elle fait partie de l’imaginaire régional, à l’instar de la ville d’Ys ou de l’Atlantide. Par grande marée, on aperçoit encore, à Saint-Benoît-des-Ondes, des morceaux d’arbres qui émergent sur l’ancienne épave de La Valeur. Les pêcheurs des bouchots éprouvent toujours des difficultés pour enfoncer des pieux en mer à cause de souches dures qu’ils attribuent aux restes de la forêt. Les anciens textes religieux réutilisés par les historiens et les scientifiques perpétuent cette légende entre mythe et réalité.

Cette forêt dite de Scissy ou de Quokelunde, suivant les écrits, aurait existé aux temps historiques d’après l’affirmation d’une thèse religieuse qui la situe au milieu du Moyen Âge avant qu’un engloutissement ne l’emporte lors de la fameuse marée d’équinoxe de 709. Le récit est conforté notamment par l’abbé Manet en 1829 qui met en scène cette forêt et sa destruction en prenant appui sur des versions émanant notamment de moines copistes du mont Saint-Michel. Mais pourquoi ?

L’année 709 est la date de la fondation de l’abbaye du mont Saint-Michel. Alain Visset, historien local, expliquait, lors du colloque “Forêt de Scissy légende ou réalité” à Bécherel le 16 novembre 1996, que l’archange Michel aurait demandé à saint Aubert, évêque d’Avranches, d’envoyer des moines en Italie, au mont Gargan, afin de ramener des reliques du saint pour sacraliser l’oratoire au sommet du futur mont Saint-Michel. À leur retour un an après, le 16 octobre 710, les moines ont retrouvé le mont transformé sans ses buissons épineux. Il s’agit pour l’historien davantage d’un défrichement que de la disparition d’une forêt ou d’un raz-de-marée. Et pourtant, le mont était devenu une île, aux dires de ces moines.

La première mention de cette forêt est relatée par le moine Hervard vers 996-1009. Il compile tout un ensemble d’écrits de copistes dont les manuscrits ont été conçus au scriptorium du mont Saint-Michel, dans un atelier resté florissant jusqu’au xiiie siècle. De nombreux copistes entre le xiie et le xviiie siècle vont décrire avec réalisme l’étendue et la submersion de cette forêt constatée au retour des moines d’Italie qui découvrent le mont au péril de la mer. Il faut remonter il y a 7 500 ans pour imaginer le mont Dol et le mont Saint-Michel entourés d’eau. C’est vers l’an 0 que les deux monts perdent leur insularité. En 710, seule une forte marée aurait pu transformer la baie et lui conférer son caractère maritime momentané.

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