Gilbert Bourdin, le parolier des Ours du Scorff, ce groupe de musique qui a marqué l’enfance de tant de jeunes Bretons, vient de disparaître. L’écrivain et réalisateur Gérard Alle, qui était son voisin, en centre-Bretagne, lui rend hommage. Ensemble, ils ont créé dans les années 1990 l’Émir de Langoëlan, avec entre autres Jacky Molard, Jacques Pellen et Erik Marchand. L’occasion de revenir sur une personnalité hors du commun qui a marqué son époque. Car Gilbert fut aussi un grand collecteur et chanteur traditionnel. Mais il fut bien plus que ça. À travers lui, c’est toute une philosophie de la vie qui transparaît, imprégnée de l’humour et du savoir-vivre de la société rurale de son enfance, à Pluherlin, dans le Morbihan.
Joséphine, sa maman, disait : “Dame, c’est comme ça depuis tout petit : des bonnes histoires, des belles chansons, mais le Gilbert, surtout, il a besoin de dormir.” Gilbert Bourdin est né juste après-guerre, en 1947. Dans le berceau de l’ourson, on a placé un ventre de cornemuse en guise de doudou, pour lui mettre tout de suite en bouche le goût de la musique. Même quand il dort. Parce qu’il dort beaucoup. Et aussi on lui susurre des berceuses qui l’accompagnent jusqu’au mitan des rêves. À Pluherlin, en ce temps-là, c’est comme ça qu’on fait.
Quand un oiseau pousse son trille par la fenêtre entrouverte, l’ourson ouvre un œil. Il est bientôt midi. Il est tout ouïe. La chanson que fredonne sa maman lui parvient de la cuisine : elle sent la soupe. Dans le lointain, il devine un commis qui sifflote une ridée en revenant des champs. Avant de naître, l’ourson se doutait bien que la vie était une chanson. Maintenant, il sait d’évidence que la vie danse.
Chaque semaine, Joséphine invite ses copines à boire le café. Dame, faut bien beurdasser, boire et chanter, sinon, la vie, à quoi ça rime ? Et pour beurdasser, ça beurdasse ! On se moque d’un tel ou d’une telle, mais toujours avec cette modestie feinte, teintée d’ironie, des gens du coin. Et puis, le café appelle la goutte, la goutte appelle les mots, et les mots appellent la ritournelle. Et rien ne peut empêcher les mots de convoler et les histoires de tourner en contes et en chansons. À Pluherlin, en ce temps-là, c’est comme ça qu’on fait. (…)