Le poisson a toujours dicté sa loi, il va et vient, se laisse prendre, parfois il disparaît. Avant que le marin breton ne développe savoir et technique pour suppléer son incomplétude de terrien, il s’est laissé balader sur les océans par cette ressource ingouvernable. Sa quête l’a conduit loin de chez lui, dans des conditions pénibles où le sommeil se rencontrait sur le plancher d’un canot humide. Drôle de sort, qu’un homme s’est efforcé d’améliorer : Jacques de Thézac, fondateur des Abris du marin. Il laisse derrière lui une œuvre immense qui se fond à présent dans le paysage actuel.
Jacques de Thézac, de la plaisance à la solidarité maritime
Le jeune aristocrate est né à Orléans. Il se prit de passion pour la mer, son univers, et surtout, ses hommes.
Avant de devenir un yachtman féru de régates, bien avant qu’il ne soit qualifié de philanthrope, Jacques de Thézac naît loin du rivage breton qui le verra se réaliser en tant qu’homme de bien. Nous sommes en 1862, à Orléans, dans une famille d’aristocrates où les possibles sont aussi vastes qu’un horizon par mer calme. Sa santé fragile le force à interrompre ses études et il gagne le littoral charentais où il trouve la guérison et surtout, ce qui va constituer le sel de son existence : l’océan. À 17 ans, il tire ses premiers bords sur les plans d’eau charentais, apprend à gréer ses voiles, découvre l’euphorie des régates sans enjeux véritables. Plus que tout autre plaisir, c’est celui de “voir les marins à l’œuvre”, qui l’emporte chez cet observateur né. Si la mer a déjà émoussé ses sens, c’est en Bretagne que son cœur est pleinement conquis. Son arrivée à Douarnenez, à l’âge de 21 ans, le marque pour toujours. Au xixe siècle, c’est le premier port sardinier français. De l’arrière-pays, il y a cette vue sur la baie, enclavée entre de hautes falaises. Des centaines de barques obstruent le port. La vie, même si c’est une vie de peu de chose, fait grouiller les ruelles de la cité. Vapeurs de fritures, tintement des cloches de l’usine rappelant les femmes à leur besogne, enfilade de bistrots, déambulations des marins en goguette à la nuit tombée, nos ports de pêche palpitent ainsi à l’aube du xxe siècle. Plus qu’à la barre d’un canot, c’est ici que se dessine son engagement : aider le petit peuple des côtes bretonnes, modeste par ses moyens, grand par son courage et sa détermination. (…)
Les Abris du marin, un patrimoine maritime aux fonctions multiples
Des quinze Abris du marin construits sur le littoral breton, aucun ne sert aujourd’hui de refuge aux équipages. La désuétude de ce bâti maritime révèle qu’à bord des bateaux, le confort a triomphé de la précarité. Il ne reste qu’un patrimoine disparate où chaque maison rose a trouvé une vocation nouvelle.
Dans la première moitié du xxe siècle, les Abris remplissent pleinement leur rôle. Puis les bateaux pontés font leur apparition dans les années 1950, avant la motorisation des embarcations. Les escales loin de la maison se raréfient. Les dortoirs sont désertés, mais les salles collectives où l’on tape le carton en causant métier restent pleines. D’autres services font leur entrée dans les Abris : écoles de pêche, services sociaux, cours d’enseignement ménager… Jusque dans les années 1980, les établissements qui n’ont pas encore été vendus continuent de servir une cause sociale et populaire. La télévision, véritable attractant qui rameute les gamins du quartier, s’invite même dans quelques établissements, comme à Sainte-Marine. Alors qu’il s’est employé pendant des années à servir un seul et même but, le parc des Abris s’invente de nouvelles affectations, oscillant entre un destin parfois lucratif et un rôle mémoriel difficile à tenir. (…)
La suite de ce dossier est à découvrir dans le numéro 258 d’ArMen, janvier/février 2024