Des Celtes ? En Amérique ? Avant Christophe Colomb ? Voilà une question bien étrange pour ceux, et ils sont nombreux, qui ont appris sur les bancs de l’école que le Nouveau Monde fut découvert par Christophe Colomb en 1492. Pourtant, un certain nombre d’indices concordants, du fameux manuscrit médiéval Navigatio Sancti Brendani abbatis à la découverte d’une charte de 1514 opposant moines de l’abbaye de Beauport aux marins-pêcheurs de Bréhat, tissent un “faisceau de présomptions” qui incitent certains à répondre à cette question par l’affirmative…
Lorient, août 1982. Au sommet de l’été, le grand port du sud de la Bretagne s’invente des univers hauturiers. Toute la grande famille celtique est là, qui boit, qui chante, qui danse, au rythme des reels ou de gavottes endiablées, à deux pas du bassin à flots. Ce soir-là, au Palais des congrès, le musicien irlandais Shaun Davey présente “The Brendan Voyage”, un titre qui figure sur la pochette de son disque éponyme, au-dessus d’un curragh, ce bateau très léger fait de bois et de cuir, ballotté sur une mer grise et verte. En fermant les yeux, au gré des solos du uilléann-piper Liam O’Flynn, et des envolées de l’orchestre symphonique, on largue les amarres. On quitte la ville pour un voyage initiatique qui nous mène loin, très loin, à l’ouest et au nord du monde. En lisant le texte imprimé sur la pochette du disque (vinyle à l’époque), on comprend que l’œuvre de Shaun est dédiée à un moine irlandais, qui, voici plus de quinze siècles, avec quatorze compagnons, affréta un frêle esquif de cuir et de bois, pour une traversée épique et mouvementée qui les entraîna peut-être jusqu’au… Nouveau Monde. C’est en tout cas ce que s’empressèrent de conclure quelques historiens téméraires, parmi lesquels Louis Kervran (1901-1983), auteur de Brendan, le grand navigateur celte du VIe siècle et de La Vraie découverte par les Européens (Robert Laffont). Et si ce dernier avait raison ? Et si l’“Odyssée celtique”, évoquée ce soir-là avec tout le talent de Shaun Davey, était bien plus que ce rêve éveillé qui tint en haleine les sept cents spectateurs du Palais des congrès ?
(…) Un article de Thierry Jigourel – Illustration Liz Hascoët
À retrouver dans le n°241 d’ArMen, mars/avril 2021