La Bretagne va-t-elle devenir une terre de viticulture ? En tout cas, depuis une quinzaine d’années, des projets naissent et se concrétisent. Une Association pour le renouveau du vin breton est née en 2006. Elle a changé de nom depuis pour devenir l’Association pour la reconnaissance des vins bretons. Ces vins bretons qu’on peut trouver çà et là sur certaines bonnes tables. Mais l’histoire entre la Bretagne et la vigne n’est pas vraiment nouvelle, et en particulier en Loire-Atlantique. À l’exemple de cette petite commune de la presqu’île guérandaise, Mesquer, qui pendant cinq siècles a vu une part de ses terres colonisée par les pieds de vigne, même si aujourd’hui il n’en reste que le souvenir.
À la santé des nouveaux vignerons bretons !
La Loire-Atlantique n’a plus le monopole de la viticulture en Bretagne ! Désormais autorisés, les projets de plantation se multiplient sur toute la péninsule armoricaine. Certains avouent cependant leur étonnement, voire leurs doutes. Car pour le grand public, la péninsule armoricaine reste une terre à cidre, où le climat ne se prêterait pas à la viticulture. Et pourtant…
L’histoire de la viticulture bretonne commence il y a fort longtemps, si l’on se réfère à la découverte, en 2005, des vestiges de pressoirs à levier, de cuves et de chais datant du iie ou iiie siècle, à Piriac-sur-Mer (44), dans la presqu’île de Guérande. Un autre pressoir, daté du ixe siècle, a été mis à jour sur le site de l’abbaye de Landévennec (29), à la pointe du Finistère, en présence de pépins de raisin. Des textes prouvent qu’au tournant du XIIe siècle, les moines de l’abbaye de Saint-Maurice, à Clohars-Carnoët (29), produisaient leur propre vin. À la même époque, le géographe arabe Al Idrissi mentionnait la présence de vignes sur les rives de la Rance. Si on ne peut exclure l’existence d’une viticulture familiale, à usage domestique, il faut attendre le xviie siècle pour voir se développer une production importante en Bretagne. Encore présent dans la vallée de la Rance et le Pays de Rennes, le vignoble s’étend surtout entre le Pays nantais et la presqu’île de Rhuys, et bénéficie de l’introduction des cépages melon de Bourgogne (pour le muscadet) et folle blanche (pour le gros plant et la distillation).
Pour expliquer la disparition progressive de la vigne dans le reste du paysage breton, y compris dans les abbayes, ou dans les jardins des châteaux et des manoirs, on peut évoquer la perte de pouvoir des abbayes, dont les moines maîtrisaient les techniques de fermentation, les périodes de refroidissement (par exemple des gelées à – 30 °C en 1709), la survenue des maladies comme l’oïdium (apparue dans le Pays nantais en 1852), le mildiou et le phylloxéra au tournant du xxe siècle. On peut mentionner également la politique agricole, avec la plantation du pommier à cidre, encouragée par le royaume sur la façade atlantique, à partir du xviie siècle, au détriment de la vigne.
Cependant, un peu partout en Bretagne, la toponymie atteste de la présence ancienne de la vigne, la palme revenant à l’Ille-et-Vilaine. La mémoire de son existence s’avère plus diffuse, souvent portée par des légendes ou des rumeurs invérifiables. Quand je suis arrivé de Bordeaux, pour habiter en centre-Bretagne, le pays de ma mère, mon voisin, le père Quéméner, m’a raconté que les moines de l’abbaye de Langonnet (56) avaient planté de la vigne autrefois, non loin de là, sur la pente sud du Mine Du. Quand on arpente cette colline balayée par le vent, entre Côtes-d’Armor et Morbihan, on peut fortement en douter. Nous n’étions d’ailleurs pas nombreux à y croire, ni à croire en l’émergence de futures cuvées bretonnes. On nous traitait d’utopistes. Mais nous avons bien fait d’insister : en militant pour la reconnaissance des vins bretons, nous avons contribué à leur retour en grâce.
Réfugiée en Géorgie lors de la dernière glaciation, la vigne est une liane qui ne demande qu’à reprendre sa course, à la conquête du monde. Parfois, un tronc de vigne multi-centenaire émerge d’un roncier, ou bien c’est une lambrusque qui jaillit d’un talus et grimpe dans un arbre, à la recherche de la lumière. C’est ce qui a dû arriver à Saint-Suliac (35), près du mont Garrot, ce site sublime qui surplombe la Rance. On est au début des années 2000. Quand les associés envisagent d’y planter de la vigne, un habitué des lieux se souvient d’être venu chaparder des grappes de raisin dans un talus, quand il était gamin. Le cep devenu sauvage ne tarde pas à être retrouvé et un échantillon est envoyé à Montpellier, pour y être analysé. D’abord décrit comme inconnu, le cépage sera identifié comme étant la petite magdeleine noire des Charentes, elle-même génitrice du fameux merlot. Sa présence sur le site remonterait à au moins quatre cents ans ! À signaler également, l’histoire originale du berligou, un vin rouge breton très apprécié à la cour des rois de France comme à celle des ducs de Bretagne, sauvé de la disparition par quelques passionnés du Pays nantais, à la suite de la découverte, en 1930, de quelques pieds miraculeusement préservés. Comme la petite magdeleine noire, le berligou est aujourd’hui choyé par les bénévoles d’un conservatoire des cépages qui porte son nom, à Pénestin, dans le Morbihan. Jusque dans les années 1970, dans la même commune, des ostréiculteurs cultivaient de la vigne pour occuper leurs employés durant les heures creuses. (…)
1412-1912 : Vignes et vendanges à Mesquer, cinq siècles de viticulture en presqu’île guérandaise
Au regard des archives, il apparaît clairement que la culture de la vigne s’est perpétuée pendant cinq siècles dans la commune de Mesquer, à deux pas de Guérande, en Loire-Atlantique. Les appellations de lieux-dits ou de terres mesquéraises, comme la Vigne des sables, la Ferme de la vigne, la Grand’vigne… rappellent aussi ce passé viticole. Dans les documents archivés, des “clos de vigne” sont signalés dans différents aveux, baux à complant et actes de vente depuis le XVe siècle jusqu’à la Révolution, puis dans les comptes rendus des conseils municipaux au XIXe siècle, avec la publication des bans de vendanges et quelques mises en garde contre les “grapilleurs” de tout poil !
Des archives privées évoquent par ailleurs les travaux saisonniers dans les vignes, leur rendement et les aléas climatiques et épidémiques… enrichissant ainsi notre connaissance de cette culture ancestrale sur cette terre. (…)