©Piriou-Towt

Face à l’urgence climatique, la propulsion vélique fait un retour en force dans les activités maritimes. Transport de fret, navette à passagers, pêche… aucun secteur n’échappe à ce renouveau de la voile. De nombreux projets voient le jour en Bretagne et la Région encourage la création d’une filière. Mais l’enthousiasme des pionniers ne doit pas cacher les nombreux obstacles qui demeurent.

Une solution d’avenir

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 si l’avenir des activités maritimes reposait sur une énergie maîtrisée par les premiers navigateurs il y a 5 000 ans ? Face à l’enjeu climatique, la voile apparaît aujourd’hui comme une solution d’avenir. Une revanche pour un mode de propulsion abandonné par la marine depuis plus d’un siècle. Tous les mois désormais, un nouveau projet est annoncé à grand renfort d’articles de presse et de présence sur les réseaux sociaux. Parfois avant même qu’il soit finalisé. Cabotage de fret, pêche côtière, cargo transatlantique, paquebot de croisière… aucun secteur n’échappe au phénomène. “Avant, nos stagiaires voulaient devenir pêcheur ou marin de commerce. Maintenant ils rêvent de transport maritime à la voile”, témoigne un enseignant du Centre européen de formation continue maritime (cefcm), à Concarneau. Même l’ensta, la très réputée école d’ingénieurs de Brest, a ajouté les technologies véliques à sa formation d’architecte naval. “Il y a 10 ans, nous passions pour des utopistes fumeurs de pétards, à présent nous sommes vus comme des visionnaires”, s’amuse Guillaume Le Grand, président de towt (TransOceanic Wind Transport), qui fait actuellement construire deux voiliers-cargos de 81 mètres de long et 2 500 m² de voile au chantier Piriou (Concarneau).

Plusieurs facteurs expliquent ce retour de la voile. Chaque jour, 100 000 cargos sillonnent les mers du globe. En 2022, ils ont transporté 11 milliards de tonnes de fret, reflet de notre appétit de consommation. Mais les porte-conteneurs géants brûlent 300 tonnes de gasoil par jour. Le transport maritime est ainsi responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre. C’est peu si on compare aux tonnages transportés, mais cela représente toutefois autant que l’Allemagne. Ces 3 % doubleront d’ici 20 ans si rien n’est fait. Ce n’est plus socialement acceptable, écologiquement responsable, ni économiquement rentable à l’heure où les coûts de l’énergie flambent. Même constat côté croisière : les paquebots consomment 2 000 litres de fioul par heure en mer et 700 litres à quai, notamment à cause de leurs équipements (ascenseurs, climatisation, piscines…) ! Quant à la pêche, à une échelle certes moindre, elle a vu le carburant passer de 25 % à 40 % du chiffre d’affaires des armements ces derniers mois. Les responsables de la filière ne cessent d’appeler les pouvoirs publics à les aider à faire évoluer les chalutiers vers des motorisations moins dépendantes du gasoil.

La réglementation aussi évolue. L’Organisation maritime internationale (omi) a adopté en 2018 une motion imposant à ses membres de réduire leurs émissions de co2 de 50 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008. Un objectif pas assez ambitieux pour l’Union européenne qui exige du transport maritime d’atteindre la neutralité carbone avant 2050. Les armements doivent donc décarboner. Et la propulsion vélique coche toutes les cases pour atteindre cet objectif selon Lise Detrimont, déléguée générale de Wind Ship, l’association qui regroupe les acteurs de la filière : “Le vent est gratuit, propre, universel et toujours disponible. Grâce aux routeurs, il est prédictible, un navire ne se retrouvera pas dans le calme plat. Les technologies pour l’adapter à tous les types de bateaux, en nouvelle construction comme en rétrofit, sont matures. C’est un mode de propulsion qui séduit un nombre croissant de chargeurs (c’est ainsi qu’on appelle les clients dans le transport maritime). Le retour de la marine à voile est inéluctable.” Guillaume Le Grand le confirme : “Nos voiliers-cargos émettront 90 % de co2 de moins qu’un porte-conteneurs, et leur empreinte sonore sera quasi-nulle.” (..)

Liaison Quiberon – Belle-Île. Les passagers du vent

Depuis deux ans, une navette à la voile relie Quiberon à Belle-Île. Une expérience inédite qui a rapidement séduit de nombreux passagers. À l’origine du projet, la compagnie Iliens rêve déjà de liaisons vers d’autres îles du Morbihan. (…)

Vent d’Ouest sur le transport de fret, des projets ambitieux en Bretagne

Le développement de la propulsion vélique concerne principalement le transport de fret. Coup de projecteur sur trois projets nés en Bretagne.

“Aidez-nous à décarboner nos navires.” Tel est le cri d’alarme lancé par le président d’Armateurs de France lors des Assises de l’économie de la mer, organisées à Lille le 9 novembre dernier. Réponse du gouvernement par la voix d’Hervé Berville, secrétaire d’État à la Mer : “Nous allons lancer le plan stratégique France Mer 2030 doté de 300 millions d’euros, dont l’axe principal sera la décarbonation du transport maritime.”

Mais tous n’ont pas attendu cette annonce pour se lancer dans le transport de marchandises à la voile. L’historique est Grain de Sail, créée en 2010 à Morlaix par les frères Jacques et Olivier Barreau. L’entreprise est la première à avoir construit un voilier-cargo qui ne transporte que les matières premières (café, cacao…) destinées à la chocolaterie et à l’usine de torréfaction du groupe. Modèle d’intégration verticale, Grain de Sail est en effet à la fois une compagnie maritime et alimentaire. Elle enregistre des chiffres d’affaires records qui lui ont permis d’investir dans la construction d’une nouvelle chocolaterie à Dunkerque. Son voilier transporte des produits bio récoltés dans le respect du droit social, avec un surcoût marginal pour le consommateur final (de l’ordre de 13 centimes pour une tablette de chocolat à 3,50 €). “Lors de sa dernière traversée de l’Atlantique, notre navire a consommé 9 litres de gasoil pour les entrées et sorties de port. Sinon, il a navigué 100 % à la voile, à une moyenne de 8 nœuds, en émettant 97 % de co2 de moins qu’un cargo conventionnel. Nous sommes des tueurs de bilan carbone”, explique fièrement Stefan Gallard, le directeur du marketing. Mais small n’est pas toujours beautiful. Ce premier navire de 24 mètres est en effet trop petit. Grain de Sail en fait donc construire un nouveau de 52 mètres qui, avec 6 hommes d’équipage, pourra embarquer 350 tonnes de fret (contre 50 tonnes pour gds 1). Il sera opérationnel en 2023. Plus rapide, il effectuera trois transatlantiques par an contre deux actuellement. Mais cet appétit de croissance impose à la compagnie morlaisienne – qui avait toujours clamé son souci d’indépendance – de s’ouvrir à de nouveaux partenaires. Sur le plan financier puisque Bpifrance et Crédit Mutuel Equity ont rejoint son capital en janvier 2022. Et sur le plan commercial puisque le futur navire transportera également du fret pour d’autres chargeurs, ce à quoi Grain de Sail s’était toujours refusée. “Disposant d’un bateau plus grand et effectuant davantage de rotations, nous pourrons accueillir le fret d’autres firmes. Mais uniquement des produits en cohérence avec nos valeurs et notre éthique”, insiste Stefan Gallard. (…)

Entretien avec… Lise Detrimont, déléguée générale de Wind Ship

Lise Detrimont est déléguée générale de Wind Ship, l’association qui regroupe les acteurs de la filière vélique. Optimiste quant au développement de la filière, elle ne nie pas pour autant les difficultés. (…)

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