Aux origines, il y eut un pari. Le pari de la qualité. Le pari de la créativité. Désormais, il y a un défi.

À l’heure où l’on dit ne plus lire. À l’heure où la presse ne vit plus, mais survit. Nous continuons à parier sur la qualité, la créativité, à croire en des élans neufs. Oui, on peut être ému en tournant les pages. Oui, on peut s’immerger dans l’observation, la contemplation d’une photographie, d’un dessin. Oui, on peut se laisser surprendre par le ton d’une enquête, par la qualité d’un récit, par la finesse d’une plume.

ArMen n’est pas un magazine. C’est une revue. En cela, elle est proche du livre, de l’objet que l’on garde, que l’on aime avoir près de soi, qui rassure par le savoir qu’il renferme, qui sait être intemporel, qui dit hier, qui dit aujourd’hui et qui dit demain.

Ce trésor ethnologique découvert au hasard d’une visite par Xavier Dubois, le photographe et iconographe de la revue, au domicile de Daniel Cariou, émerge à la lumière. Ce n’est pas une histoire de phare dans la tempête. C’est un quotidien à bord. Un huis clos au phare, au phare des Grands Cardinaux. Comme jamais plus il n’y aura. C’était l’été 1972. C’était il y a quarante ans. Ce n’est pas de nostalgie dont il est question. C’est un simple regard sur ce qui a été, sur ce qui n’est plus, sur un témoignage d’exception, sur une communion d’hommes au travail, parce qu’entre ces trois hommes, les deux gardiens et le photographe, la confiance était ouvertement là. Il y eut Jean-Pierre Abraham, le gardien de phare et écrivain, l’une des plus brillantes plumes également de la revue ArMen. Il y a Louis Cozan, gardien de phare et écrivain, petit bonhomme à barbe blanche, de la malice et de la poésie dans son regard d’homme de mer. Tout en retenue, en humilité et en concision, il pose un à un les mots sur les clichés exhumés. Précis. Justes. Sans candeur ni trace de romantisme.

Ils parlent un langage qui ne sera jamais le nôtre, ni celui des terriens, ni celui des marins. C’était un monde en soi. Allumer le feu, l’entretenir, le veiller. Victoire de la lumière sur la nuit, de la vie sur la mort. “Pour monter ou descendre, à la rigueur on pouvait s’accrocher aux montants de fer soutenant la rampe, jamais à la rampe elle-même. Sans y penser, il était évident qu’il fallait garder intacte au long des jours cette spirale de lumière. […] Peut-être ce souci était-il lié aussi à une conviction plus obscure, au sentiment diffus que si l’intérieur du phare n’était pas nickel, dans tous ses détails, à tous les étages, le feu là-haut, la nuit, serait moins clair ?” écrivait Jean-Pierre Abraham*. C’était un monde en soi.

Chloé Batissou

 

* Jean-Christophe Fichou, Noël Le Hénaff, Xavier Mével, Phares, histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France, éditions Le Chasse- Marée / ArMen, 1999.

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