Kemmoù ar gevredigezh a vez melezouret gant ar geriadurioù. Gerioù kozh ha micherioù kozh a ya d’ar baz. Ostilhoù nevez ha gerioù nevez a zeu war wel. Chal ha dichal ar vuhez ordin. Se a zo kaoz e c’heller kaout ur skeudenn eus emdroadur ekonomiezh Breizh dre geñveriañ ar c’heriaoueg a veze graet ganti daou c’hant vloaz zo gant ar gerioù hon eus ezhomm anezho evit komz eus an armerzh a-vremañ.
Le monde au fond de mon panier
Deux cents ans de notre économie dans la mémoire des mots (1)
Les dictionnaires reflètent les transformations de la société. D’anciens mots et d’anciens métiers tirent leur révérence, tandis que des outils et des mots nouveaux font leur apparition. Flux et reflux de la vie ordinaire. Ainsi peut-on obtenir une image de l’évolution de l’économie en Bretagne en comparant le lexique en usage voici deux cents ans avec les mots dont nous avons besoin pour parler de l’activité contemporaine.
Le commerce est aussi ancien que le plus vieux métier du monde… Aussi découvre-t-on l’essentiel du vocabulaire des affaires dans le premier dictionnaire connu en Bretagne, le Catholicon. Ce dictionnaire est trilingue : breton, français, latin. Le manuscrit du Catholicon (1464) a été édité en 1499, à une époque où il n’existe encore aucun dictionnaire de français. Y figurent quelques valeurs sûres : “arc’hant” (argent), “moneiz” (monnaie), “priz” (prix), “profit” (profit), “amprestañ” (emprunter), “produiñ” (produire), “ispiserezh” (épicerie), “stal” (magasin), “micher” (métier)et“micherour” (ouvrier), “marc’had”(marché) et“marc’hadourezh” (marchandise), “marc’hadour”(marchand) et“marc’hata” (marchander), “pinvidigezh”(richesse) et“paourentez” (pauvreté), “prenañ”(acheter) et“gwerzhañ” (vendre)… et “laeron” (voleur), tiens donc ! Tous ces mots ont traversé les siècles jusqu’à nous.
À l’inverse, d’autres dénominations ont disparu. En tournant les pages des Enquêtes sur le vocabulaire breton de la ferme (Per Trepos, 1961), il apparaît clairement qu’une partie des mots répertoriés n’ont plus cours, que ce soit chez les jeunes, désormais citadins, ou même dans les fermes, où les méthodes de travail ont changé du tout au tout. Dans un article paru dans Al Liamm (n° 384, p. 57), Lukian Kergoat avait concocté une petite devinette, que je ne me risquerai pas à traduire en français intelligible : “Gant un dorn peg en troad hag egile er maer eo kouezhet an tennad hag eo bet bountet gant ar gomitell ? De quel outil s’agit-il ?” La bonne réponse était la faux. Et l’auteur de nommer en breton les douze constituants élémentaires d’une faux, à partir d’une étude qu’il avait antérieurement publiée dans la revue Hor Yezh (n° 106-107, 1976, p. 84).
Quoi qu’il en soit, le nombre de vocables dont nous avons besoin croît très rapidement. Moins de 6 000 mots sont répertoriés dans le Catholicon (1499), quand le Ménard (2013) compte plus de 51 000 entrées et le site de l’Office public de la langue bretonne presque 60 000…
Il y a deux cents ans, tout le monde, pour ainsi dire, habite à la campagne ou sur les côtes. Tous paysans ou gens de mer. Les mines, les forges et le commerce de la toile apportent un complément de revenu permettant de subvenir aux besoins essentiels. Mais ces secteurs économiques vont peu à peu disparaître au XIXe siècle. Le commerce qui se déploie par la mer fait les frais des guerres incessantes entre la France et l’Angleterre. La situation de la Bretagne devient alors calamiteuse, jusqu’au sursaut du Celib dans les années 1950-1970 après la Seconde Guerre mondiale.
Il n’y a guère que l’industrie de la conserverie qui insuffle un peu d’élan à l’économie, et plutôt dans la partie sud de la Bretagne, au cours du XIXe siècle, après la publication de l’ouvrage du Nantais Charles Appert en 1810 : L’art de conserver les substances animales et végétales. L’emploi se développe alors autour de la sardine, sur mer et sur terre, avec les “fritures”, autre nom des conserveries. Rapidement bourgeonnent les dérivés de “miret” (conserver, 1499) : “miridigezh” (conservation,1821), “miruzenn” (conservateur, 2012). “Saezon”, qui vient probablement du français “salaison” était connu depuis longtemps (le mot est signalé dans le Catholicon). La nourriture était préservée au moyen du sel autrefois. Après Charles Appert apparaît la tournure “boued-mir” (nourriture de conserve), qui s’affranchit désormais de toute allusion au sel.
Peu à peu des entreprises modernes verront le jour. Le lexicographe Le Gonideg propose le mot “kevezerezh” (concurrence) en 1821. Son dérivé “kevezusted” (compétitivité) voit le jour en 1983. Il faudra attendre 1886 pour trouver le mot “sindikad” (syndicat), et dans une acception qui n’est pas alors celle que nous lui connaissons aujourd’hui. Difficile de trouver trace du mot “diskrog-labour” ou “harz-labour” (grève) dans les dictionnaires avant 1931… Il est cependant question de“enkadenn” (crise) dès 1821, dérivée du mot “enkiñ” (acculer, 1723) lui-même décliné de “enk” (étroit, 1519). Mais on sait “ober fazi” ou “freuz-stal” (faire faillite) depuis 1821. On disait aussi “porter la ceinture de paille” (dougen ar gouriz plouz). En effet selon Troude, les marchands qui avaient fait faillite étaient promenés en ville, une ceinture de paille autour de la taille.
Les Bretons sont “ijinus” (ingénieux) depuis 1499, mais les premiers “ijinourien” (ingénieurs) ne font leur entrée dans le vocabulaire qu’en 1732, et il ne sera pas question d’“ijinerezh” (industrie) avant 1869. Le mot “ijinadenn” (invention) est enfin proposé en 1927. Il était temps !
Ouverts sur le monde
La façon de travailler la terre change fondamentalement au XXe siècle. La civilisation de la main est supplantée par celle des “mekanikoù” (machines, 1499) ayant engendré le “mekanikerezh” (machinisme, 1970). C’est à la main (dorn) que l’on battait (dornañ) les épis. Mais la main a engendré la “dornerez” (batteuse, 1876) et la faux est devenue “falc’herez” (faucheuse, 1732). Plus tard viendra le tracteur (stlejer, 1983, ou bien traktor, 1994). Le feu (tan) se transforme en électricité (tredan, 1927). Et voici bientôt le miracle de la “goroerez” (trayeuse, 1931) ! La Bretagne s’ouvre sur le vaste monde. Le lexique accueille les “artichaod” (artichauts) en 1633 et les “patatez” (patates) en 1876.
Le destin de la charrette est tout aussi symptomatique. La “karr” (charrette/chariot, 1499) a engendré la “karrigell” (brouette, 1633), d’où naîtront la “adkarr” (remorque, 1958) et la “karr-tan” (automobile, 1931)… Le cheval (marc’h) n’a pas non plus traîné, se transformant en marc’h-tan (locomotive, 1931), avant d’être englouti par le TGV…
La deuxième moitié du XXe siècle nous a submergés sous un flot d’informations. Le mot “stlenn”(1519) vient du vieux breton “stlinn” (déclaration, information). Il a servi à forger “stlenneg” (informatique) et “stlennegour” (informaticien). L’ordre (urzh, 1499) a engendré l’organisation (urzhiadur, 1931) et l’ordinateur (urzhiataer, 1992). Pendant ce temps, les“logod” (souris) ont tracé leur chemin jusqu’aux “skrammoù” (écrans, au sens initial de paravents, 1732)… Une fortune éphémère, car les souris ont depuis perdu leur queue, et elles n’ont plus aucune utilité avec les “tablezennoù niverel” (tablettes, Office Public de la Langue Bretonne).
Les mots courent derrière la vie sans jamais rattraper leur retard. Et c’est encore plus vrai dans les langues minoritaires. Elles souffrent d’un effet retard supplémentaire. Quel nom donner à l’éconologie, au crowd-funding, au merritoire, à la mobiquité, à la désintermédiation et à la coopétition ?… Nous sommes tous invités à formuler des propositions sur le forum de l’Office public de la langue bretonne pour forger les concepts du temps présent. Une langue qui ne va pas de l’avant est condamnée à mourir, comme la femme de Loth qui fut changée en statue de sel pour avoir regardé derrière elle…
(1) Attention, l’article que je vous propose ici n’est pas un écrit scientifique. J’ai tiré parti des nombreux dictionnaires en lignes sur le site de Lexilogos. J’ai aussi fait un large usage du Dictionnaire étymologique du breton (2003) d’Albert Deshayes. Les années que je mentionne peuvent être imprécises. J’ai seulement souhaité ouvrir la voie à des études plus approfondies.