La commune de Bonnœuvre, dans le pays d’Ancenis, doit son nom à un prieuré attesté en 1073 relevant des moines de Saint-Florent-le-Vieil. Jusqu’à la Révolution, le prieur portait également le titre de baron de Bonnœuvre avec pour armoiries un écu d’azur aux trois détours d’argent, c’est-à-dire un chapelet entouré d’un écusson bleu orné de trois quartiers de lune. Aujourd’hui, l’ancien prieuré dédié à saint Martin et devenu église paroissiale au XIXe siècle est la plus belle œuvre architecturale du patrimoine communal et la plus ancienne. Mais c’est dans la forêt de Saint-Mars-la-Jaille que se trouve le monument le plus extraordinaire de Bonnœuvre.
À environ trois kilomètres à vol d’oiseau de l’ancien prieuré, direction nord-ouest, aux abords du chemin forestier de la “Grande Balise”, trône le magistral chêne aux clous aussi appelé chêne du Pâtisseau ! Les sylviculteurs, au vu de son diamètre de 4,20 m, estiment que le chêne est âgé d’environ 400 à 500 ans ! Il était déjà attesté en 1742, année où eut lieu une coupe forestière.
Aujourd’hui, le chêne aux clous est plus fréquenté que l’église paroissiale. On vient l’admirer, le saluer, le prier et y planter des clous qui le piquent au cœur mais ne le font pas mourir, des clous qui font du bien aux pèlerins qui viennent ici en désespoir de cause pour guérir leurs furoncles et maladies de peau. L’ordre des médecins tant sourcilleux de ses prérogatives vichyssoises, pourrait un jour y voir ombrage et demander à mettre bas ce guérisseur d’un autre âge pour exercice illégal de la médecine. D’ici là, le chêne aux clous consulte gratis à toute heure du jour et de la nuit. Avant donc de prendre le chemin de la forêt, le pèlerin doit se munir d’un clou et d’un marteau pour accomplir un rituel séculaire : effectuer sept fois le tour de l’arbre dans le sens des aiguilles d’une montre, puis ficher le clou dans le tronc de l’arbre guérisseur, et enfin réciter un Pater Noster et un Ave puis se signer trois fois.
Je n’ai pas compté le nombre de clous plantés dans l’écorce, ni les pièces, ni les médailles, ni les chapelets, ni les statues votives qui ont été installées autour de l’arbre. On y voit notamment la sainte Vierge, saint Joseph mais aussi sainte Thérèse de Lisieux et sainte Bernadette Soubirous ! Un dévot y a également affiché une prière à Notre-Dame du Sacré-Cœur.
Bigoterie que tout cela, pourraient prétendre les esprits cartésiens. Superstition païenne, rétorqueraient des adeptes du pape François désormais aussi rationalistes que des instituteurs laïcs. L’important n’est-ce pas d’y croire ? Et ils sont nombreux dans la forêt de Bonnœuvre à braver les quolibets de ceux qui n’y croient pas !
La dévotion populaire aux arbres existe depuis la nuit des temps. Elle était attestée dans l’Antiquité, en Grèce, à Rome mais aussi chez les barbares en Gaule, en Irlande, en (Grande)-Bretagne, en Germanie, en Scandinavie… Les conciles catholiques ont jusqu’à la Révolution française condamné ces croyances et pratiques indigènes, sans résultat !
La transmission du mal aux arbres à l’aide de clous et d’épingles est encore signalée dans toute l’Europe au début du XXe siècle(1). Il existe aussi d’autres procédés pour se débarrasser du mal qui vous ronge : l’incision de l’écorce, la pendaison aux branches de loques, la ligature de brins de paille, de fils de laine ou d’une vulgaire corde. À Bonnœuvre, ce sont surtout des clous par confusion avec le “mal du roi”, morbus regius, les écrouelles que les rois de France et d’Angleterre étaient réputés guérir !
La première mention écrite d’une guérison royale est relatée par Guibert de Nogent dans son traité Des reliques des saints en 1124 et attribuée au roi Philippe ier qui régna de 1060 à 1108(2) ! Le plus connu des rois guérisseurs fut Saint Louis, qui rendait aussi la justice sous un chêne ! De son règne daterait la formule “le roi te touche, Dieu te guérit” ! Le dernier toucher royal eut lieu le 29 mai 1825 par Charles x qui toucha et guérit 121 malades !
En remontant le cours du temps pour chercher des explications à ce rituel, nous trouvons un détail signifiant. Le lendemain de son sacre à Reims, le nouveau roi effectuait un pèlerinage au prieuré de Corbery, entre Reims et Laon, sur le tombeau de saint Marcoul, situé à l’extrémité du Chemin des Dames où eut lieu la tragique bataille pendant la Première Guerre mondiale ! Les reliques de saint Marcoul furent transférées de Bayeux en Normandie dans l’Aisne en 898 pour être mises à l’abri des Vikings(3). Selon l’hagiographie, ce serait en signe de remerciements que Dieu aurait accordé au roi de France et à ses successeurs le pouvoir miraculeux de guérir les écrouelles. Ce serait là une pure invention qui nous éloignerait de Bonnœuvre et de la Bretagne… quoique !
Saint Marcoul ne peut être confondu avec saint Maclou, qui n’est autre que saint Malo ! Néanmoins, il existe en Bretagne une chapelle où saint Marcoul est honoré depuis le Moyen Âge, dans l’ancien prieuré de Prigny aux Moustiers-en-Retz ! Une légende y prétend que saint Marcoul serait le septième enfant mâle d’une famille et que son don de guérisseur serait transmis au septième garçon d’une lignée ! C’est ainsi que dans le pays de Retz, on avait l’habitude de dénommer “Marcoul” les septuples qui devenaient ipso facto guérisseurs. Or, hasard ou coïncidence, dans la chapelle de Prigny subsiste le rituel des épingles, que les dévots fichent dans le pied du saint qui voisine saint Marcoul, dans le retable méridional de la nef, en l’occurrence Gwenolé !
Quel rapport entre Marcoul, Malo, Cado et Gwenolé ? Réponse : le culte des sept saints, tous thaumaturges et thérapeutes(4) ! À Bonnœuvre, les saints bretons sont cependant bien absents de l’église paroissiale. Il subsiste une dévotion populaire au milieu des bois qui remonterait à un temps antérieur, lorsque les païens plantaient des clous afin de renforcer l’arbre sacré, le chêne qui tel un pilier du temple de la nature soutenait les voûtes du ciel ! Les Gaulois ne craignaient-ils pas que le ciel leur tombât sur la tête ? Barbarie que cela, pourraient conclure les latinistes civilisés, oubliant que les Romains fichaient eux aussi des clous dans les colonnes du Capitole pour célébrer le culte de Jupiter, le dieu tutélaire dont l’équivalent était le dieu Dagda dans le panthéon celtique… Celui-là même dont le culte est lié au chêne, l’arbre des très-savants, les druides !
(1) Paul Sébillot, Croyances, mythes et légendes des pays de France, 1904-1906, nouvelle édition Omnibus, 2002.
(2) Martc Bloch, Les rois thaumaturges, Istra, 1924.
(3) Abbé Ledouble, Notice sur Corbeny, son prieuré et le pélerinage à Saint Marcoul, 1883 – réédition, Le Livre d’histoire Lorisse, 2007.
(4) Bernard Rio, Le livre des saints bretons, éditions Ouest-France, 2016.