En cette année où le Tour de France cycliste fait la part belle à la Bretagne, l’évocation de l’année 1907 paraît très à propos. Car il semble bien que ce soit à l’issue du Tour de France 1907 que la Bretagne devint la fille aînée du cyclisme. Cette sixième édition de la “Grande Boucle” fut en effet marquée par une belle épopée originelle et les exploits de deux géants de la route, deux Bretons : Alfred Le Bars et Lucien Petit-Breton.
Certes, le Tour passait bien à Nantes depuis sa création en 1903, à une époque où il se développait sur 2 420 km et six étapes. Et depuis 1906, il tirait même jusqu’à Brest, son parcours ayant grimpé à 4 500 km, à couvrir en 13 étapes. Mais en cette année 1907, les planètes s’alignèrent réellement en faveur de la Bretagne. Le succès populaire dépassa toutes les espérances des organisateurs, avec des dizaines de milliers de spectateurs à Nantes, et 20 000 sur le seul vélodrome de Longchamp, à Brest, où l’organisation fut même plus réussie qu’à Toulouse ! Ils étaient encore bien plus nombreux, autour de 50 000, massés sur les kilomètres précédant l’arrivée. Et à Morlaix, à 2 heures du matin, la moitié de la ville, plus de 2 000 spectateurs, était debout pour acclamer son champion local, un modeste coureur débutant de 18 ans, Alfred Le Bars. Succès populaire, succès de l’organisation donc, mais réussite athlétique et technique : en effet, pour la première fois, la dimension banc d’essai du matériel du Tour de France connaissait un aboutissement inattendu. Le champion utilisant une machine poinçonnée, était aussi le premier au classement général scratch. Et ce champion était breton, un certain Lucien Mazan, originaire de Plessé où il était né en 1882.
Après avoir suivi sa famille en Argentine pour des raisons autant politiques que professionnelles, Lucien était revenu en France en 1902. Le temps de confirmer sa vocation de coureur cycliste et surtout ses immenses qualités morales, physiques et techniques, de réapprendre le français, celui que l’on surnommait aussi “L’Argentin”, avait choisi comme pseudonyme un nom qui allait faire sa gloire et celle de sa région d’origine : Petit-Breton. On n’avait jamais vu un tel étendard pour un pays. Il l’avait adopté par discrétion, modestie, enracinement. À Breton, il aurait ajouté Petit car il y avait déjà un ou deux coureurs qui portaient ce nom. Volontaire, talentueux, astucieux, et excellent mécanicien, Lucien avait donc conduit cette année-là, comme en 1906 d’ailleurs, sa bicyclette Peugeot au premier rang. Une machine poinçonnée, comme celle des trois-quarts des 93 partants. Il s’agissait en effet de veiller à la solidité du matériel, puisque le règlement stipulait qu’il fallait utiliser toujours la même machine, et si besoin la réparer soi-même.