Alain-Michel Blanc est né à Saint Malo, là où embarquaient les terre-neuvas qu’il connaît bien. Car c’est à Terre-Neuve que ce scénariste et réalisateur a commencé sa vie d’homme. Alain-Michel a 17 ans quand, élève indiscipliné, il décrète qu’il ne veut plus suivre d’études. Qu’à cela ne tienne, son père, médecin, lui trouve un embarquement sur l’Alex-Pleven. Il part en mars 1962 pour une campagne de trois mois et demi qui forgera pour toujours son admiration pour les acteurs de la “Grande Pêche”, aujourd’hui disparue, et dont il a entrepris de sauvegarder la mémoire. Il a en effet placé au cœur de sa vie de réalisateur l’épopée des terre-neuvas, donnant la parole à ceux qui l’ont vécue devant sa caméra pour les deux opus de Mémoires de Brume, le premier en 1985, le deuxième en 2019.

Ils ont 15 ans ou guère plus. Ils rêvent d’embarquer pour Terre-Neuve comme le cousin qui parade sur sa mobylette neuve et a du succès auprès des filles. La terre tout court ne leur apportera jamais tant d’argent, ni cette aura de celui qui a voyagé.

Alors ils entament le parcours de l’aspirant-mousse. Dans des cafés autour de Saint-Malo, les patrons font office de recruteurs, des “marchands d’hommes”. Ils connaissent les gars qui veulent partir et feraient des recrues solides. Ils s’occupent aussi d’équiper les mousses et de leur constituer un sac complet. Le novice part ainsi équipé de pied en cap, mais il lui faudra une voire deux campagnes complètes uniquement pour rembourser ledit sac, empli de cirés, de bottes et de vêtements chauds.

Les capitaines font aussi le tour des fermes pour constituer leur équipage. Et parfois quand ils veulent un gars réputé bon trancheur, le fils ou le frère novice font partie du lot, à prendre en totalité ou pas du tout. La mère veille en servant le café ou la gnole : c’est elle aussi qui vante les mérites de son mari – parfois surestimés – pour obtenir une meilleure part de pêche.

Même s’il ajoute parfois à l’équipage prévu, avec un réalisme cynique, la “part de la mer”, les deux ou trois qui ne reviendront peut-être pas, le capitaine s’interdit d’embarquer plus de 58 marins. Au-delà de 60 hommes à bord, la présence d’un médecin est obligatoire et les armateurs sont fort peu désireux de s’infliger cette dépense supplémentaire. Les blessures et maladies en mer seront soignées – ou pas – avec les moyens du bord…

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