Au milieu du XVIIe siècle, la conquête crom-wellienne de l’Irlande tue près de 40 % de la population du pays. Des dizaines de milliers de gens prennent la route à la recherche de vies meil-leures. Des clans familiaux et des communautés se forment. D’abris de fortunes en roulottes, ils adoptent le voyage comme mode de vie. Dès le xixe siècle, ceux qu’on appelle les Irish Travellers franchissent la mer d’Irlande et l’Atlantique pour tenter leur chance au Royaume-Uni et aux États-Unis. Aujourd’hui, ils seraient environ 25 000 à vivre en Grande-Bretagne, 30 000 en Irlande et 5 000 en Amérique.
Une sédentarisation forcée
Station de South Bermondsey dans le sud-est de Londres. En contrebas de la voie ferrée, des caravanes et des micro-maisons en brique longent la station. Une vingtaine de familles plus ou moins apparentées vivent ensemble et forment une communauté soudée. “Petit à petit, on a été obligés de se poser. Avant, on s’arrêtait sur le bord de la route. On restait le temps de faire des petits boulots comme la cueillette de fruits. On vendait aussi des seaux, des gamelles en métal que les hommes fabriquaient, puis on repartait”, raconte Mary-Ann, pimpante Irish Traveller sexagénaire. Puis les lois se durcissent dans les années 1990. Dormir dans une caravane sur le bord de la route devient illégal. Les gens du voyage sont contraints à la sédentarisation. Pour les familles de South Bermondsey comme celles des autres communau-tés d’Irish Travellers du Royaume-Uni, le voyage n’est plus vraiment un mode de vie. “Même si la caravane est toujours prête, on ne part plus que pour les grandes occasions : les mariages, les baptêmes, les communions, les enterrements mais aussi pour les grands rassemblements comme les foires aux chevaux”, poursuit Mary-Ann.
“Être sédentaire permet aux enfants d’aller à l’école régulièrement, à nous tous d’être suivis sur le plan médical mais aussi d’être ‘fichés’ par les autorités. Et on n’aime pas trop ça chez nous…”, continue-t-elle. Chez les Irish Travellers, on ne reste pas long-temps à l’école : la culture se transmet oralement et on fait ce que ses parents ont fait avant soi. Les filles apprennent à devenir des caravan wives et à s’occuper des enfants avec leurs jeunes frères et sœurs, les garçons accompagnent leurs pères dans leurs différents boulots, notamment d’asphaltage de routes, dès l’âge de 12 ou 13 ans.
Souvent accusés, à tort ou à raison, d’escroquerie, de trafic de stupéfiants, de paris truqués, les Irish Travellers n’échappent pas à l’ancestrale “peur du gitan”. Officiellement considéré comme un groupe ethnique en Grande-Bretagne, les Irish Travellers sont ceux qui souffrent le plus de discrimination. Jusqu’au début des années 2000, il n’était d’ailleurs pas rare de voir à l’extérieur de pubs anglais : “No Travellers thank you”.
Les Irish Travellers se sont forgé une identité de groupe à l’écart des autres, fondée sur la liberté et sur la religion catholique dont beaucoup sont de fer-vents pratiquants. Chaque rite de passage représente un événement capital. “Avoir la chance d’assister à un mariage, c’est quelque chose, raconte Noémie, journaliste indépendante, c’est grandiloquent. Les filles sont habillées avec des robes hyper moulantes, bardées de maquillage et on dirait qu’elles se sont aspergées d’auto-bronzant !” Tenues et attitudes peuvent choquer, prêter à la moquerie. Les Irish Travellers s’en fichent et continuent à faire vivre leurs traditions hautes en couleur.
Un récit photo complet à découvrir dans le numéro 245 d’ArMen