À bientôt 80 ans, Yvon Kervinio revient sur son aventure photographique, débutée au Maroc il y a plus d’un demi-siècle alors qu’il était instituteur au pays. De la publication de cartes postales sur la Bretagne, tout particulièrement sur le Morbihan, à sa passion pour le cirque, en passant par la création de son association L’aventure cartophile, le Bubryate d’origine met en avant l’importance de l’édition des images.
“Vous ne me croirez pas si je vous dis qu’à la maison, il ne parle pas ? C’est un taiseux. Mais alors quand il parle photo…”, soupire Nicole, sa femme, alors qu’elle me mène jusqu’à la véranda où effectivement, Yvon va me parler, non sans ferveur, des heures durant, sans s’arrêter. Ils se sont rencontrés très jeunes. Mariés depuis près de soixante ans, même boulot, même voix et mêmes ambitions, ils se connaissent par cœur. Elle était déjà là quand Yvon a commencé à se prendre de passion pour l’image. Partis enseigner le français au Maroc pendant douze années, jusqu’en 1979, c’est au beau milieu d’un souk que l’histoire débute. À moins que ce ne soit à Bubry dans le Morbihan, quelques années auparavant, au moment de l’obtention de son baccalauréat, lorsque le père d’Yvon Kervinio lui offre une caméra. “J’avais de la chance.” On est alors en 1962. Ses parents tiennent ’un bazar’ sur la place commerçante du bourg, dans la grande bâtisse en pierre qui a, depuis, vu naître un tout autre commerce, celui du Crédit agricole. Au milieu d’articles de pêche, de chasse, de souvenirs et de bonbons, l’image galvanise le jeune blond aux yeux clairs. Il s’orientera pourtant vers une autre carrière professionnelle. Passionné mais pragmatique : “Il y avait la famille et les études des enfants, ce n’était pas du tout prudent” – le photographe amateur choisit la voie de la sécurité, celle de l’enseignement. Un moyen pour le couple d’instituteurs de “quitter [leur] famille et de vivre [leur] vie”. Yvon Kervinio ne sourcille pas : “On était sans doute faits pour ce métier. On n’a jamais regretté.”
Cheveux bouclés en bataille, sourcils en broussaille, la mémoire infaillible de l’instituteur, qui deviendra professeur d’histoire à Hennebont à son retour du Maroc, nous ramène au souk. Dans un magasin, alors jeune enseignant en coopération, il décide d’échanger sa caméra contre un appareil photo. On n’en saura pas plus sur cette aventure cinématographique, lui qui martèle que “tout cela n’est que du passé”. Le modèle de l’appareil photo ? Il s’en souvient très bien : “C’était un Konika, un bon réflex avec un objectif de 50 millimètres.” Inutile de préciser non plus que cette première machine ne fait plus partie des trésors de sa maison située à Étel, à quelques mètres de la mer.
Photographier la vie
Muni de son nouvel appareil, il apprend la technique photographique grâce aux autres coopérants français qui sont animés par la même envie. Mais après tout, la technique, on s’en moque un peu. Son créneau à lui sera la photographie de reportage. “C’est la représentation de la vie, une forme d’harmonie, parfois des scènes un peu drôles, parfois au contraire il ne se passe rien, simplement ils sont là. Tous ces personnages constituent notre propre environnement et c’est notre patrimoine. La manière dont ils se posent, la manière dont ils sont habillés, leur coiffure éventuellement ; cela n’a l’air de rien, mais 50 ans, voire 100 ans plus tard, des gens vont retrouver ces photos. Pour mille raisons, l’image de reportage va être utile et fait partie de notre entité bretonne et française.”
Même si on peine à le croire aujourd’hui, cette démarche va lui demander d’aller un peu contre sa nature. Aujourd’hui plus que loquace, le septuagénaire était en effet à l’époque, et selon ses dires, plutôt réservé. Il fallait alors approcher, pire, communiquer. Une démarche facilitée selon lui grâce à l’appareil photo : “L’empathie du photographe crée de l’empathie en face.” Un brin rieur, il conclut : “Et puis les gens sont toujours prêts à raconter leur vie…” (…)