La réputation du sel de Guérande n’est plus à faire. Mais avant de devenir ce produit phare qu’il est depuis plusieurs années, il a bien failli disparaître il y a un peu plus de quarante ans. Charlotte Le Feuvre n’était pas encore née mais elle connaît le sujet sur le bout des ongles. Son grand-père était paludier, tout comme sa mère. Elle a naturellement choisi ce même métier mais l’exerce dans de bien meilleures conditions. Et ceci grâce en particulier à la Coopérative Les salines de Guérande, créée en novembre 1988, qu’elle préside depuis cinq ans.
L’anecdote ne manque pas de sel ! À quelques jours près, Charlotte Le Feuvre, la présidente de la coopérative Les Salines de Guérande, a le même âge que cette structure. C’est en effet en novembre 1988 que cent quatre-vingts paludiers de la presqu’île ont concrétisé leur projet économique, résultat d’une action menée plus d’une dizaine d’années auparavant pour sauver le marais salant. Née dans une famille de paludiers, Charlotte a l’histoire bien en tête : “Au début des années 1970, il ne restait plus ici qu’une poignée de paludiers qui exerçaient ce métier en parallèle avec une autre activité, comme mon grand-père, qui était aussi maçon.” Le projet d’une route deux fois deux voies entre La Baule, Guérande et Le Croisic est alors porté, entre autres, par Olivier Guichard, le maire de La Baule à l’époque, pour permettre de transformer les marais salants en vaste domaine de loisirs. Les paludiers s’y opposent fortement et reçoivent le soutien de plusieurs associations environnementales et de jeunes militants écologistes. Ensemble, ils créent un groupement de producteurs que des élus locaux, fraîchement arrivés aux affaires en 1977, vont soutenir. Le projet de route définitivement enterré, il restait à pérenniser l’activité économique du site. “Le véritable tournant qui aboutit à notre réussite aujourd’hui, c’est en 1987, rapporte Charlotte Le Feuvre. À l’époque, les ventes plongent et l’un de ces jeunes venus s’installer dans les années 1970, Charles Perraud, a eu alors l’idée de lancer une étude de marché qui a révélé que les consommateurs étaient prêts à acheter un sel artisanal, de qualité, valorisé.” En novembre 1988, le groupement de producteurs se structure en coopérative. Charlotte ne manque jamais de rendre hommage à Charles Perraud, “un visionnaire auquel les marais salants doivent beaucoup”. C’est grâce à lui, entre autres, qu’elle peut exercer son métier dans des conditions qui étaient inimaginables encore quelques décennies plus tôt, à l’époque de l’âge d’or du sel de Guérande : “Il faut se souvenir que le sel a fait vivre la presqu’île pendant des siècles, jusqu’à la fin du xixe, mais sans pour autant que les paludiers en soient les grands bénéficiaires. À cette époque, ce sont les négociants qui ont fait fortune.”
Rien de tout cela aujourd’hui. Charlotte Le Feuvre est catégorique : “Si nous étions restés indépendants, chacun et chacune dans notre saline, nous n’existerions plus.” C’est donc forte de profondes convictions dans le travail collectif qu’elle représente la coopérative Les salines de Guérande : “Nous nous appuyons sur une structure à taille humaine au sein de laquelle les producteurs ont la main, avec le minimum d’intermédiaires.” Elle préside un conseil d’administration de 14 membres qui représente les 220 paludiers adhérents à la coopérative. Ceux-ci vendent leur sel à un prix décidé collectivement, chaque année, par ce conseil d’administration. “Ce qui permet à chacun d’entre nous à la fois de stabiliser ses revenus et de vivre décemment de notre métier.” Aujourd’hui, la coopérative commercialise 80 % de la totalité des volumes de sel de Guérande vendus, ce qui assure la stabilité du prix de vente.