Héron au Lac de Grand-Lieu, Loire-Atlantique

Grand-Lieu est le doyen des lacs français : la fosse dans laquelle il est installé pourrait avoir cinquante millions d’années. Et s’il a été maintes fois recouvert par la mer, sa forme actuelle daterait de deux millions d’années, soit environ l’âge des premiers hommes. Ce lac à physionomie variable offre deux aspects : en hiver, gorgé d’eau, lorsque ses niveaux sont au plus haut, sa surface atteint les 6 300 hectares. C’est alors une immense étendue d’eau recouvrant marais et prairies, attirant de nombreux migrateurs venus du nord. Mais en été, il régresse à 4 000 hectares et se donne une allure exotique en se couvrant d’immenses herbiers.
Depuis plus de 40 ans, le lac est classé en réserve naturelle nationale et bénéficie de nombreuses protections en tant que zone humide. Il n’a pas toujours été aussi bien encadré. Au fil du temps, de nombreux projets ont bien failli le faire disparaître. En 1947, la Société civile immobilière du lac de Grand-Lieu, propriétaire de 2 700 hectares sur la partie centrale du lac, avait comme objectif l’assèchement du lac. Heureusement, un de ses actionnaires, le parfumeur Jean-Pierre Guerlain, passionné de chasse, y voit un intérêt cynégétique. Il parvient à enterrer le projet de la sci et en fait sa chasse privée où les invités prestigieux se succèderont, dont l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Homme sensible, il se passionne pour la beauté et la richesse du lac. Sur les conseils de son ami Pierre Pfeffer et d’un autre passionné du lac, Loïc Marion, chercheur au cnrs et grand connaisseur du lac alors âgé d’une vingtaine d’années, le parfumeur Jean-Pierre Guerlain cède à l’État sa propriété du lac de Grand-Lieu, devenue la Réserve naturelle nationale de Grand-Lieu, sous la condition que la Société nationale de la protection de la nature en assure la gestion. Le 10 septembre 1980, la réserve naturelle nationale du lac de Grand-Lieu est créée. En 2008, sur la partie est du lac, 650 hectares de la Fondation nationale pour la protection des habitats et de la faune sauvage sont classés en réserve naturelle régionale, gérée par la Fédération départementale des chasseurs de Loire-Atlantique. Le travail de suivi réalisé en collaboration par la snpn et la Fédération des chasseurs permet une très bonne connaissance des populations d’oiseaux sur le lac ainsi que de leurs dynamiques.
Pour Jean-Marc Gillier, directeur de la Réserve naturelle nationale du lac de Grand-Lieu, la richesse naturelle du lieu ne s’arrête pas aux nombreux oiseaux qui peuplent la surface des herbiers. Moins visible, l’autre côté du miroir grouille lui aussi de vie. Des millions de poissons : brèmes, tanches, gardons, rotengles, bouvières et la très menacée anguille. Au cours des 30 dernières années, la population de ce poisson a chuté de 95 % et elle a été classée “en danger critique d’extinction”.

Des effectifs records de grands échassiers

Si, aujourd’hui, le lac de Grand-Lieu fait partie des paradis ornithologiques dont la réputation dépasse largement nos frontières, c’est en partie grâce à ses 40 années sous haute protection. La tranquillité du lac (il est interdit au public) a favorisé l’installation de nombreuses espèces. Le calme des forêts flottantes est essentiel pour les grands échassiers, raison pour laquelle des effectifs records ont été atteints. En période de reproduction, la réserve naturelle accueille un peuplement unique de grands échassiers : près de 2 000 couples pour une dizaine d’espèces. Pour certains ardéidés, il s’agit même des plus importantes colonies reproductrices de l’ouest de la France ; c’est le cas de la Grande Aigrette, du Héron bihoreau gris, du Héron pourpré ou encore du Héron garde-bœuf. Après avoir été pendant longtemps le seul site français où la Spatule blanche se reproduisait, la réserve accueille encore, selon les années, de 20 à 40 % des effectifs reproducteurs nationaux de l’espèce. Mais comme bon nombre de zones humides en France, le lac n’est pas à l’abri des menaces venant de l’extérieur : les espèces invasives comme l’écrevisse américaine, la jussie, le ragondin et les conséquences du dérèglement climatique alternant crues et périodes de sécheresse sont difficiles à maîtriser. Mais le problème majeur est l’eutrophisation, prolifération végétale qui asphyxie ses eaux depuis de nombreuses années. Là aussi la raison est extérieure, elle vient des eaux du bassin versant pollué par les activités humaines. Si ces dernières années, les pics d’azote ont baissé, la pollution chronique est trop importante pour espérer pouvoir observer une amélioration. Le problème d’eutrophisation va bien au-delà des limites de la réserve. Le lac de Grand-Lieu n’est pas un cas isolé et, comme de nombreuses autres zones humides, son avenir est entre nos mains.

Autres articles de ce numéro:

A lire également