De tous temps, les commerçants en bestiaux ont sillonné les campagnes pour acheter du bétail dans les fermes. En Loire-Atlantique, Marius est apprenti pour devenir l’un d’entre eux. Dans son camion, au foirail ou tondeuse à la main, il nous raconte son métier, immuable mais emporté par les évolutions du monde, et témoin des mutations de l’agriculture bretonne.
C’est sous un ciel gris, dont la Loire se fait écho, que Marius Laurent s’engage sur le bac reliant Couëron au Pellerin, au volant de son petit camion. Quotidiennement ou presque, il passe le fleuve, frontière décou-pant la Loire-Atlantique entre le “nord-Loire” et le “sud-Loire”. Dans sa bétaillère blanche et rouge – les couleurs de la maison – patientent de jeunes vaches, que le jeune commerçant en bes-tiaux ramène à Frossay. Marius est apprenti à la sas Dousset, installée dans ce village au cœur des marais bordant la Loire. Le métier de négociant pour le bétail est millénaire : de tous temps, des hommes – et quelques femmes – ont estimé, acheté et vendu des vaches, veaux, bœufs et taureaux. Si le cœur du travail (l’estimation de la valeur de l’animal) n’a pas changé, les commerçants doivent composer avec un environnement en pleine évolution : nouvelles réglementations, notamment sur bien-être animal, effets du réchauffement climatique, baisse de la consommation de viande, et surtout, et avant tout, disparition des fermes. Les campagnes se vident de leurs animaux. Un phénomène très visible dans le grand Ouest. La Bretagne est une grande région productrice de lait et de viande. En 2020, l’Ille-et-Vilaine comptait 35,5 vaches laitières au km² (1), plaçant le dépar-tement à la seconde place derrière la Manche (42,2/km²). Les Côtes-d’Armor et le Finistère n’étaient pas en reste, avec respectivement 26,6 et 23,9 laitières au km².
1 400 € pour une jeune bête
Des vaches, Marius en croise sur la route du Pellerin à Frossay, en ce début d’après-midi. Mais ce sont surtout des allaitantes, destinées à la production de viande, en particulier des “blanches”, des charolaises. Une fois arrivé, il décharge les broutards, des bovins d’environ un an. Trop âgés pour être des veaux, ils ne sont pas encore adultes. Après un premier lot de limousins, il sort une jeune charolaise. “Celle-ci, c’est une belle, juge l’apprenti. Elle est fine d’os, et bien conformée, avec les muscles saillants à l’arrière main. Et sa couleur est froment, moins blanche que d’autres : on dit que la viande est plus rouge, les bou-chers aiment.” À la voix, il dirige la jeune bête vers la stabulation. Dans sa main, une canne jaune, partie intégrante de la tenue de rigueur des commerçants, avec la blouse foncée floquée du logo de l’entreprise. “C’est rare d’en voir des comme celle-là, appuie l’apprenti commerçant. Elle peut se vendre 1 400 €.” À titre de comparaison, la petite angus derrière est estimée à 600 €. Juger de la qualité d’un animal ne s’improvise pas : pendant seize semaines, Marius s’est formé, en alternance, à Figeac (Lot). “Depuis cinq ans, nous sommes les seuls à proposer la formation ’acheteur-estimateur en bétail’ ”, précise François Oléon, son référent à Animapôle, cfaa (Centre des formation des apprentis agricoles) du Lot. Une douzaine de jeunes y passent chaque année, pendant seize semaines, pour découvrir le tri des bêtes chez les commerçants, les marchés aux bestiaux, et les abattoirs, sans oublier les volets réglementaires. “Les trois-quarts sont issus du monde agricole, observe François Oléon. Et cette année, on avait trois filles sur les douze. Elles sont de plus en plus nombreuses.” La formation existe depuis 35 ans. “Le métier ne change pas tant que cela, analyse l’enseignant. Les bases de l’estimation sont les mêmes. Il y a cent ans, on faisait la même chose. Mais le métier est devenu plus difficile administrativement, et qui dit moins de fermes dit plus de concurrence.” (…)