La petite filature bretonne

L’entrepreneuriat du xxie siècle consiste parfois, et de plus en plus fréquemment, à redonner ses lettres de noblesse à une activité révolue. Émilie Renard, en fondant La Petite Filature Bretonne, dans les Côtes-d’Armor en 2019, a répondu à un besoin personnel autant qu’à celui de consommateurs à la recherche de produits alternatifs. L’histoire d’Émilie démontre aussi qu’une conversion professionnelle, sans être un long fleuve tranquille, peut être épanouissante et que la coopération citoyenne n’est pas qu’une posture intellectuelle dans certaines couches de la société.  

Aujourd’hui, La Petite Filature Bretonne est la seule entreprise de la région, et la troisième en France, à proposer une transformation artisanale de la laine, de la toison en provenance directe de l’élevage au produit fini. Elle est conçue pour travailler de petites quantités de fibres animales (mouton, alpaga, chèvre mohair, lapin angora et tout animal laineux tel le lama) qu’elle restitue cardée, feutrée ou filée, selon la demande du consommateur. La matière première, achetée aux éleveurs ou offerte par des particuliers, est destinée à la gamme de laine maison. Certaines toisons lui sont confiées par des propriétaires de quelques têtes, qui récupéreront la laine écheveaudée de leur propre troupeau. Le processus parfaitement écologique (aucun intrant), visant la suppression totale de déchets en réemployant absolument toutes les parties de la laine, est en adéquation avec le mode de vie que se sont choisi Émilie Renard et son mari Nicolas Besseau, qui a lui aussi intégré la filature à plein temps. Ce fonctionnement éco-responsable s’harmonise à leur environnement de travail, une ferme biologique. Une situation rêvée pour beaucoup. Mais le chemin qui y mène a suscité chez le couple de nombreux questionnements, d’interminables tâtonnements et a été ponctué de quelques périodes de découragement. D’où l’intérêt de le pratiquer à deux, “on ne craque pas au même moment !”.

La trame sur le métier

Si elle avait déjà développé un goût certain pour le travail de la laine, l’histoire actuelle d’Émilie commence réellement avec le stage de filage que lui offre un jour sa famille. “J’ai accroché immédiatement et ça a généré des conséquences que je n’avais pas anticipées !” L’aspect méditatif apparent de l’activité favorise visiblement l’introspection, et la vie d’Émilie va en être bouleversée. “Mettre un pied dans le milieu ouvre des portes. Il y a tout un monde qui file au rouet.” Elle réalise rapidement que nombre d’éleveurs jettent les toisons au moment de la tonte. Dès lors, elle stocke chez elle la laine récupérée, encore brute, qu’elle apprend à trier et à laver.

Le virus s’instille doucement dans l’esprit d’Émilie qui envisage de plus en plus sérieusement d’abandonner son travail de fonctionnaire, éducatrice de jeunes enfants, formatrice d’assistante maternelle pour le département du Morbihan, pour se reconvertir dans le milieu de l’entreprise artisanale. Elle mène une étude de marché au cœur du festival naissant autour de la laine, Des fibres aux fils, en 2016 à Commana, ainsi qu’aux Journées internationales de la laine dans la Creuse. C’est là qu’elle prend vraiment conscience des carences du secteur. On ne trouve pas plus de deux micro-filatures en France, l’une dans les Hauts-de-France, la seconde dans le Bordelais. Il n’existe aucune filière qui acheminerait les toisons jusqu’à ces sites. Le faire à titre individuel serait peu rentable au vu des petites quantités récoltées dans la plupart des cheptels bretons*. Les éleveurs de moutons, professionnels ou particuliers, n’ont aucune autre option pour valoriser les toisons de leurs bêtes. Les quantités trop peu importantes n’intéressent pas les filatures industrielles qui ne font affaire qu’à partir de 50 kg de laine brute. (…)

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