L’histoire de l’art est riche de ces redécouvertes de peintres dont on avait parfois oublié même le nom (pensons à la résurrection d’un Georges de La Tour au xxe siècle). Avant de se préoccuper de considérations esthétiques et de juger de la qualité de l’œuvre, l’historien se doit aussi d’étudier ces péripéties de la connaissance. En Bretagne, aujourd’hui, un tel processus est en cours, et nous pouvons tenter de le suivre, à partir de 2021, d’en dégager les étapes et en analyser les moteurs et l’accueil. Il s’agit de la connaissance du peintre Marcel Le Toiser mort en 1982, lentement tombé dans l’oubli après l’exposition d’hommage qu’avait organisée sa ville de Perros-Guirec, au Palais des congrès.
L’artiste était très connu à Perros-Guirec des années 1960 jusqu’à sa mort. Il avait son atelier en plein centre-ville et y avait pignon sur rue : Galerie Marcel Le Toiser, peinture décoration, 4 rue Leclerc. Une belle fréquentation, accrue pendant les mois d’été, lui permettait de bien vivre de sa peinture (et de s’offrir les voitures de sport qu’il aimait). Après 1982, l’oubli a lentement œuvré ; seuls les tableaux ornant les murs de certains intérieurs en gardaient le souvenir silencieux. Qui se rappelait qu’il avait réalisé en 1964 le chemin de croix de l’église Saint-Jacques ? Peut-être même les fidèles avaient-ils oublié son nom, qui ne pouvaient y puiser leur méditation tant l’obscurité y est dense. Les stations du chemin de croix n’ont jamais été éclairées et ne le sont toujours pas.
Un collectionneur
Mais pendant ces quelques décennies de l’oubli et en toute discrétion, un collectionneur œuvrait. À l’origine de son intérêt qui va devenir passion, il y a, alors qu’il était tout jeune, sa rencontre enthousiasmante avec le peintre. Il a cherché, acheté, parfois loin, accumulé et aujourd’hui sa collection comprend plus de cinquante paysages. Sur ses murs, les tableaux s’accordent, se complètent. Il nous a fait le grand plaisir de nous les montrer, comme dans un spectacle où les œuvres apparaissaient les unes après les autres, comme si elles venaient d’être créées.
L’action d’un passionné
Mais un collectionneur reste discret. C’est un esthète passionné qui, quarante ans après la disparition du peintre, s’est donné la mission de faire connaître Marcel Le Toiser. Aux sources de sa passion, Pierre Kerlévéo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, se rappelle sa fascination, alors qu’il était enfant de chœur, pour la quinzième station du chemin de croix de Perros : au lieu de clore avec la mise au tombeau du crucifié, quatorzième et dernière station traditionnelle, le peintre avait osé évoquer un Christ vivant, “les bras tendus vers l’humanité”. Peu de peintres ont ainsi rompu avec l’orthodoxie catholique (comme Jean-Georges Cornélius venu du protestantisme l’avait fait dans son chemin de croix de Villard-de-Lans en 1935).
Pierre Kerlévéo constate la diversité et la qualité des œuvres qu’il découvre dans les intérieurs perrosiens. Il cherche les documents, interroge les archives, intrigué par la personnalité de l’artiste, par sa vie bouleversée en 1945 : comment avait-il réussi à regagner la confiance des Perrosiens, alors qu’à la Libération, l’instituteur qu’il était avait été condamné et interdit de séjour ? (…)