À l’heure où la transition écologique est devenue un élément incontournable des politiques locales, régionales et nationales, au moment où se posent les questions du comment faire, il est des initiatives, en Bretagne, qui ont valeur d’exemples. Ainsi, il y a une quinzaine d’années, trois communes rurales, Langouët (35), Silfiac (56) et Hédé-Bazouges (35), avaient fait le choix, courageux, de créer, en régie, des éco-lotissements, construits selon des règles plutôt strictes, interdisant notamment le parpaing ou le béton de ciment en élévation des murs ou encore les menuiseries en pvc, et favorisant l’éco-construction. Dans ce domaine, la maison autonome de Brigitte et Patrick Baronnet, à Moisdon-la-Rivière, en Loire-Atlantique, a sans aucun doute possible inspiré bien des projets : cela fait quarante ans que ce couple expérimente “des solutions concrètes pour vivre heureux avec moins”. Vivre mieux, c’est aussi le credo de nombre d’écovillages qui fleurissent au fil des ans sur le territoire national, et en particulier en Bretagne, avec par exemple le projet Demain en main à Locoal-Mendon, dans le Morbihan.
Éco-lotissements. Langouët, Silfiac et Hédé-Bazouges ont montré la voie
Lorsqu’en 2001 Jean-Christophe Bénis est élu maire de Bazouges-sous-Hédé, petite commune de 900 habitants, proche de Rennes, il se retrouve avec un projet de lotissement classique porté par l’équipe municipale précédente. “Nous n’en voulions pas parce qu’il nous importait en premier lieu de traduire la notion de développement durable.” Seulement voilà, comment faire ? Bernard Menguy et Georges Le Garzic, architectes, travaillent sur un projet similaire à Langouët, à quelques dizaines de kilomètres de là. Le contact est établi. Un peu plus tard, Serge Moëlo, le maire de Silfiac, petite commune du Morbihan, fait lui aussi appel à ces deux professionnels. Sans concertation préalable, les trois maires travaillent à leur échelle à la transition écologique et ça se sait, au point de devoir imaginer une structure permettant de répondre à toutes les sollicitations : ce sera, en 2005, la création de l’association Bruded, un réseau de partage d’expériences entre collectivités dans tous les champs du développement durable.
“Avec Daniel Cueff, à Langouët, et Jean-Christophe Bénis, notre dénominateur commun était Bernard Menguy, qui nous a apporté ce qui nous manquait dans notre démarche en faveur d’un habitat durable et d’un aménagement respectueux de l’environnement, à savoir la compétence technique”, rappelle très justement Serge Moëlo. L’architecte installé à Arradon, dans le Morbihan, est en effet une référence en la matière. “J’ai développé cette sensibilité propre dès ma sortie de l’école d’architecture : le respect du vivant et des matériaux plus sains en matière de construction…” À ses yeux, comme il l’écrit sur son site Internet, “la démarche environnementale ne doit pas servir de prétexte à la prolifération de solutions technologiques nouvelles, mais permettre à l’homme de se réconcilier avec la nature”. Il convient donc de “rompre avec le concept de la ‘Machine à habiter’ initié par Le Corbusier en repensant les relations qui interagissent entre architecture et environnement”. S’il admet qu’une grande partie des solutions passe par la technologie, il estime aussi que “celle-ci doit s’inspirer des leçons de la nature et notamment dans la manière qu’elle a d’opérer des prodiges d’évolution et de pérennité”. Cette culture environnementale, Bernard Menguy l’a enrichie tout au long de sa carrière, en allant s’imprégner d’expériences à l’étranger, en particulier en Allemagne. C’est d’ailleurs au cours d’un de ces voyages qu’il a rencontré Daniel Cueff, alors maire de Langouët. Avant cela, au milieu des années 1990, il avait construit à Plouray, dans le Morbihan, son premier éco-lotissement pour le compte d’un promoteur hollandais venu s’installer en Bretagne. Le projet est privé et demeure très discret. Quelques années plus tard, les initiatives des municipalités de Langouët, Silfiac et Hédé-Bazouges vont avoir un écho bien plus important. (…)
La maison autonome (Moisdon-la-Rivière – 44). Auto-construire, c’est aussi se construire soi-même
Qui ne connaît pas aujourd’hui la maison autonome de Moisdon-la-Rivière, l’une des références, sinon la référence dans le domaine ? En quittant Paris au début des années 1970, dès la fin de leurs études, Brigitte et Patrick Baronnet n’imaginaient sûrement pas devenir ce que beaucoup qualifieraient aujourd’hui d’experts en matière d’éco-construction et d’autonomie. À l’époque, acquérir cette petite maison installée sur ce bout de terre avec un puits, n’avait d’autre but que de leur permettre de construire leur avenir à eux, plutôt que de “perdre notre vie à la gagner”.
“À l’époque où nous avons décidé de quitter Paris, c’était pour beaucoup une hérésie puisque c’était à Paris que tout se passait : la reconnaissance, l’ascenseur social…” Mai 68 est passé par là : “Ce qui m’a frappé lors des manifestations, c’est que les revendications demandaient un changement mais ce changement, les gens demandaient à l’État de le faire et non pas eux-mêmes.” Brigitte et Patrick aspirent eux aussi à ce changement mais à la dimension de leurs bras : “En attendant les lendemains qui chantent, nous avons décidé d’expérimenter notre vie plutôt que d’en parler avant même de la connaître.” Avec l’idée de “produire nos besoins essentiels, à savoir boire, manger, avoir un toit, se chauffer, se soigner, relationner”, le couple part s’installer à la campagne, à quelques kilomètres de Châteaubriant dans ce qui fut auparavant la maison d’un puisatier sur un terrain de 1800 m2. Le logis est petit mais il était hors de question de “tomber dans le piège de la maison clé en main et de rembourser deux fois son prix par un emprunt qui nous assigne à travailler toute une vie pour payer une maison dans laquelle vous n’êtes pas, puisque vous êtes dehors pour la payer !” (…)
Écovillage de Keruzerh, le hameau où économie et autonomie se conjuguent au présent
À l’heure de la transition écologique, les écovillages et autres éco-hameaux apparaissent comme de véritables laboratoires d’expérimentations alternatives. Les projets fleurissent depuis quelques années sur l’ensemble du territoire national avec pour objectif commun de créer, collectivement, un mode de vie convivial et juste, respectueux de l’environnement naturel. La Bretagne ne fait bien sûr pas exception. Illustration avec le projet Demain en main à Locoal-Mendon, dans le Morbihan.
À quelques encablures de la ria d’Étel, dans cette belle campagne verdoyante de Locoal-Mendon, un chemin cabossé vous conduit à la ferme de Keruzerh. C’est là que depuis plusieurs mois, Hélène, Julien, Fañch, Kristell, Ludovic, Gwénaëlle et quelques autres travaillent à la mise en place d’un écovillage dans un hameau de plusieurs habitations, au beau milieu d’un espace naturel préservé d’une vingtaine d’hectares, dont sept sont cultivables. Cette ancienne ferme avait été achetée en 1995 par Anne-Marie, qui avait rénové les habitations pour en faire d’une part son logement personnel et d’autre part des gîtes. L’activité a cessé. Aujourd’hui, un panneau à l’entrée du chemin d’accès indique “Ferme biologique de Keruzerh”. En contrebas des maisons, sur la parcelle et dans la serre, Hélène et Julien préparent la terre, sèment, plantent…
Originaire d’Auray, diplômé de l’École centrale de Lyon, spécialisé dans l’environnement et la construction écologique, ancien conducteur de travaux référent environnement chez gtm Bâtiment, en région parisienne, Julien Leray a quitté cette entreprise en 2016 pour suivre un cours certifié de permaculture à la ferme de La Goursaline avant de préparer, en 2017, un Brevet professionnel d’exploitant agricole (bprea) spécialisé dans le maraîchage biologique. Cette nouvelle voie le ramène vers sa Bretagne natale, pour y vivre et y travailler avec sa femme, Hélène, et ses enfants. Conscient de la difficulté “d’acquérir du foncier par chez nous”, et depuis toujours “attirés par des projets collectifs”, ils s’orientent vers cette voie. Reste cependant à trouver des oreilles attentives et intéressées… Ce sera par les réseaux sociaux : “Fañch, mon frère, a imaginé, à partir de nos discussions, un projet et l’a dessiné avant de le diffuser sur la toile avec une invitation à venir en débattre.” Une première soirée réunit une trentaine de personnes et d’autres moments d’échanges ont été organisés. “Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un noyau de six ou sept personnes qui prenaient part à chaque soirée.” C’est avec elles que va s’écrire le projet, en s’inspirant des travaux de l’Université du Nous et du Mouvement Colibris. Ils le savent par expérience : “Le facteur humain est la principale source d’échec d’un tel projet collectif. Nous avons donc pris ce sujet très au sérieux en y consacrant l’essentiel de notre énergie durant les 6 premiers mois de travail pour écrire le registre de gouvernance de notre futur lieu de vie et de travail.” (…)