C’est au cours de la seconde moitié du xviiie siècle que se multiplièrent les initiatives pour améliorer les productions agricoles : défrichements, croisements, publications, traductions, débats… En ce qui concerne le bétail, la priorité a largement été donnée au cheval, dont l’État avait tant besoin pour les transports et l’armée. L’institution des haras par Colbert en 1665 et, cent ans plus tard, la fondation de l’École vétérinaire d’Alfort par Claude Bourgelat ont eu pour but d’améliorer les performances de l’élevage équin.
La Bretagne n’est pas restée à l’écart de l’effervescence novatrice et, dès 1757, elle a même donné l’exemple en créant la Société d’agriculture, de commerce et des arts des États de Bretagne à l’initiative du négociant et armateur nantais Jean-Gabriel Montaudouin de La Touche (rappelons que la Société royale d’agriculture de la généralité de Paris n’a été créée qu’en 1761). Les Corps d’observations, publiés en 1760 puis en 1772 à Rennes, proposaient des études sur des sujets très divers, dont, déjà, le défrichement des landes, la création de prairies artificielles et l’élevage des moutons. Par ailleurs, les États de Bretagne s’avéraient très interventionnistes en multipliant les acquisitions d’étalons et même de 45 taureaux vendéens “de la race Bocage”.
Anglomanie et agronomie
Comme en matière d’industrie, l’Angleterre était une source d’inspiration essentielle pour ceux qui voulaient faire évoluer l’agriculture. La première manifestation importante de l’anglomanie, qui s’est développée pendant plus d’un siècle, fut, en 1750, la parution du Traité de la culture des terres, une adaptation de l’ouvrage de Jethro Tull (1674-1741). La Révolution conduisit nombre d’aristocrates exilés à se familiariser avec les avancées britanniques et à chercher des réponses au défi que leur avait lancé l’agronome Arthur Young dans son ouvrage Voyages en France pendant les années 1787-88-89 et 90 : sortir la Bretagne de son arriération.
En matière d’élevage, beaucoup de grands propriétaires s’inspirèrent de la sélection rationnalisée inaugurée par l’Anglais Robert Bakewell (1725-1795). Ce dernier était parvenu à mettre en place un contrôle généalogique de ses moutons, y compris chez les clients de son élevage. Les caractères distinctifs et stabilisés des lignées obtenues conduisaient à la constitution de races.
L’Association bretonne, fondée en 1844, a rassemblé un important groupe de pression et contribué à la diffusion des expériences et du culte du progrès. La majorité des grandes familles aristocratiques ou bourgeoises disposant de terres tentèrent l’aventure du progrès agricole au cours du xixe siècle. Citons pour mémoire, Jules Rieffel, Rogatien-Louis-Olivier de Sesmaisons, Gustave de Juigné ou Julien-Louis-Marie de La Haye-Jousselin en Loire-Inférieure ; les frères de Pompéry et les frères de Kerjégu, Paul de Champagny, Ange de Guernisac dans le Finistère ; François-Cyprien Baron du Taya et Emmanuel de Saisy dans les Côtes-du-Nord ; Napoléone Élisa Baciocchi, Émile Bonnemant et Napoléon Marie de Nompère de Champagny dans le Morbihan. Certains de ces entrepreneurs ont laissé des exemples significatifs de la révolution dont ils ont été les acteurs engagés.” (…)
Le grand rêve des fermes-modèles
Les membres les plus éminents de la section agricole de l’Association bretonne étaient sans doute, chacun à sa manière, de puissants novateurs, travailleurs acharnés, dévoués à la cause du progrès. Cependant, aucun n’est comparable à Napoléone Élisa Baciocchi (1806-1869), une femme à la destinée exceptionnelle dans un monde d’hommes. Fille d’une sœur de Napoléon Ier, la princesse s’était très vite séparée de son mari et s’adonnait à des expériences d’élevage dans son château de Fontenay-Trésigny près de Paris. Elle avait même obtenu des prix pour ses moutons Dishley et Southdown ainsi que pour ses vaches bretonnes. Elle serait sans doute restée un personnage original de l’entourage de son cousin Napoléon iii si sa vie n’avait pas basculé en 1853, après le suicide de son fils. (…)
Des vaches bretonnes à la conquête de l’Angleterre, la Pie Noir séduit les riches propriétaires britanniques
Dès lors que taureaux et vaches des îles britanniques étaient présentés dans les grandes expositions agricoles, faut-il s’étonner du fait que certaines races régionales passaient à leur tour la Manche ? Mais de la présentation à la médaille et surtout à la vente, il y a des seuils difficiles à franchir. C’est pourtant ce qu’est parvenu à faire la vache bretonne sous le Second Empire. À l’enthousiasme des grands agronomes pour la race Durham est apparu, en symétrique, un bel engouement des riches propriétaires britanniques pour celle qui allait devenir la Bretonne pie noir. De nombreux documents témoignent que ce ne fut pas qu’anecdotique.