Le 26 mars 2016, après trois ans de travaux, le musée de Pont-Aven a rouvert ses portes au public. Le 3 avril au soir, dix mille visiteurs étaient déjà dénombrés. Un chiffre au-delà des espérances. ArMen ne pouvait passer à côté d’un tel événement qui honore la peinture et les artistes qui ont fait la notoriété de la petite cité. Et plus largement celle de la Bretagne. Paul Gauguin et ses compagnons ont placé Pont-Aven sur la carte du monde. Les Pontavenistes leur en sont éternellement reconnaissants. C’est pourquoi, déjà dès 1971, germe l’idée d’un musée dans l’esprit d’un petit nombre bientôt rejoint par des dizaines d’amis et d’esprits solidaires d’une telle ambition. Créé en 1985, le premier musée au monde consacré à l’école de Pont-Aven abrite désormais, dans un écrin repensé et renouvelé, quatre mille cinq cents oeuvres et documents d’archives. À quelques pas des rires et pleurs de l’Aven, à quelques pas des énormes blocs de rochers, des anciens moulins, au creux des collines, ici même où à la fin du xixe siècle une colonie d’artistes s’arrima et révolutionna la manière de peindre, ici même où se joua “une étape déterminante, comme le souligne l’historien de l’art André Cariou, dans la genèse de l’art moderne du xxe siècle”.
Après le havre breton, c’est à Tahiti puis aux Marquises que Paul Gauguin a poursuivi sa quête. Comme il l’écrit en 1901 dans une lettre à Daniel de Monfreid : “Mes toiles de Bretagne sont devenues de l’eau de rose à cause de Tahiti ; Tahiti deviendra de l’eau de Cologne à cause des Marquises”. Pourtant, comme le précise André Cariou, dans son ouvrage paru chez Hazan, Gauguin et l’école de Pont-Aven, “la Bretagne resurgit indirectement dans les oeuvres océaniennes”. Pas vraiment effacée, toujours présente. Ne représente-t-il pas sous les tropiques, des chaumières bretonnes l’hiver, Village breton sous la neige ? Dépôt exceptionnel du musée d’Orsay à Pont-Aven, ce tableau est fondamental. Il fut acquis, présenté à l’envers sous le titre Chutes du Niagara, par Victor Segalen en 1903 à Tahiti après le décès du peintre quelques mois plus tôt. Victor Segalen, autre voyageur de génie, tourné vers l’Asie et vers la Chine en particulier, que l’on retrouve dans l’enquête menée par Roger Faligot auprès de cet étonnant cercle des Brestois devenus fins connaisseurs de l’empire du Milieu. En pleine préparation de l’ouvrage conséquent consacré à Brest l’insoumise (éditions Dialogues), l’écrivain journaliste livre aux lecteurs d’ArMen un pan de ses recherches et trouvailles en avant-première.
De la même manière, René Tanguy et les éditions Locus Solus présentent dans les pages de la revue un récit photo exceptionnel retraçant l’ultime amitié de Jack Kerouac. Ce camarade n’était autre que le grand Youenn, artiste polymorphe et prolifique : Youenn Gwernig. Les extraits de leur correspondance, inédite, traduits par l’une de ses filles, Annaïck Baillard, sont touchants, bouleversants. Oscillant entre le rire et la gravité, ils nous renvoient à une époque où le maître-mot était : liberté. “Le meilleur moment pour visiter la Bretagne, écrivait Youenn à Jack, pour la visiter vraiment, c’est au printemps ou à l’automne, car il n’y a que des Bretons, et le climat peut convenir à n’importe quel étranger qui vient d’ailleurs. L’hiver en Bretagne est pourri, personnellement j’adore ces moments-là, mais je crois qu’il faut y être né pour l’apprécier pleinement.”
Chloé Batissou