Les filles de la radio
Lætitia Fitamant travaille à Radio Kerne depuis vingt ans. Elle n’était pourtant pas formée à ce métier, comme la plus grande partie des employés des radios associatives de Bretagne. Mais elle avait une solide formation en langue bretonne et surtout une passion pour la radio quand elle était jeune. Son rêve ?Qu’il y ait, un jour, une radio en breton à un niveau aussi élevé que les radios du nord de l’Amérique, d’Angleterre et de Paris…
Autant de filles à la radio : y a-t-il une raison ?
Il n’y a pas de raison, bien sûr. Pourquoi existerait-il, par exemple, une littérature pour les filles, écrite avec et pour elles, et une radio faite par des filles pour des filles ? Oui, mais voilà… Les faits sont têtus et on ne peut que constater le nombre impressionnant de filles journalistes de radio : Jeanne, Marie, Vefa, Marie-Laure, Solenn, Andrea, Bleuenn, Enora, Monique, Katrin, Tunvezh, Marianne, Lou, Morgane, Karolina, Pauline, Katell, Erell… On peut les écouter partout en Bretagne, à Plonéis, Quimper, Landerneau, Saint-Nicolas du Pelem, Nantes, Pontivy…
Vingt femmes travaillent ainsi chaque jour, parlant un breton enraciné dans son territoire, que ce soit dans le Pays bigouden, le Centre Bretagne, la Basse Cornouaille, le Vannetais ou encore le Léon…
Un réseau efficace a été mis en place petit à petit avec des émissions partagées entre les journalistes de chaque radio (Arvorig FM, Radio Kerne, Radio Kreiz Breizh, Radio Bro Gwened, Radio Naoned). Un travail d’équipe fructueux que l’on peut écouter sur le site qui les regroupe toutes : Radiobreizh.net
Le monde qui change, tu y vas un peu fort, nous ne serons pas vendus…
Le titre des émissions en dit long. Ici on invente, on crée, on cherche les mots qui parlent du monde qui change. Et quelques fois, on y va un peu fort, pour rire, jamais pour se moquer. Quand Lætitia cherche un sujet, la qualité de langue du bretonnant qui lui dit ne pas savoir grand chose peut l’emporter sur un thème paraissant beaucoup plus important, nourri par un locuteur dont le breton serait plus hésitant.
En outre, découvrir un bretonnant ou une bretonnante qu’on n’a jamais entendu sur les ondes est un plaisir immense pour la fille de la radio : « C’est comme une bibliothèque, une boîte remplie de trésors petits et grands et qui n’a pas encore été découverte. Mettre en lumière cette personne qui n’est ni un élu, ni un professeur mais un individu qui sait plein de choses sur le monde et qui maîtrise un excellent superbe breton, c’est une chose passionnante dans ce métier.
Les derniers locuteurs
Est-il facile de trouver des locuteurs bretonnants à propos de sur n’importe quel sujet ? Non, évidemment. Laetitia aimerait tant remonter le temps, dans les années 1850/1900, entre Coray et Trégourez, du temps où tout le monde communiquait en breton. Petite fille, elle avait entendu des membres de sa famille et des vieilles femmes qui riaient tout le temps et ne cessant de parler breton…. Elle ne comprenait bien sûr rien à ce qu’elles disaient.
Comment alors se réapproprier cette langue qui lui échappait ? Par sa mère qui travaille dans les écoles bilingues mais surtout en apprenant au lycée, à l’université, avec Mervent, Stumdi, en devenant institutrice à Diwan à Trégunc, puis à Nantes. À peine avait-elle quitté le métier d’enseignante que la voilà embauchée dès septembre par Radio Kerne. Et là, le fait de rencontrer des bretonnants lui permet d’améliorer constamment son parler breton avec les gens du pays. On la reconnaît facilement à Radio Kerne avec son accent « créole » mi-Basse Cornouaille mi-Pays bigouden et glazik…
Qui écoute les radios en breton ?
Les études d’audimat coûtent extrêmement cher. Qui écoute les radios en breton ? Les bretonnants d’abord, mais aussi ceux qui aiment la playlist de musiques actuelles et musiques du monde qui est proposée depuis l’origine sur les ondes de Radio Kerne par Gael Helari. La programmation de Radio Bro Gwened est plus traditionnelle. Dans l’émission de Thomas Laquaine et Yann-Ber Guyader sur RKB, c’est le monde rural trégorrois qui est mis en avant. Nantes a aussi sa propre couleur, et c’est super. À chacun d’aller télécharger l’émission qui lui plaît. Et pour les vieux ? « Les Bretons ne se définissent pas par leur âge, mais par leurs centres d’intérêt ».
Il y a dix ans, on entendait : « Les radios sont condamnées à mourir ». Quand on voit le succès des podcasts longs, on constate que ce n’est pas vrai.
Nous avons une énorme chance, nous les bretonnants, de pouvoir entendre des émissions en breton nuit et jour, sur nos ordinateurs, sur la route entre Nantes et Brest, partout sur les routes bretonnes. Un grand merci donc à tous ceux qui le permettent. Avec peu de moyens, avec leur matériel technique rudimentaire qui se perfectionne petit à petit, ils ont réussi à vêtir la langue bretonne tant de son costume du dimanche que de ses habits du quotidien. Chacun.e d’entre nous peut écouter les voix des filles et des garçons qui travaillent quotidiennement dans la langue de ce pays…
https://www.radiobreizh.bzh/bzh/index.php
Un article de Fanny Chauffin – Photo : Éric Legret