Du breton pour les familles !
Keav est célèbre pour ses stages d’été : depuis 1948, la langue bretonne s’y apprend de jour comme de nuit ! Récemment, l’association a choisi de mettre l’accent sur la transmission du breton au sein des familles et propose des week-ends qui leur sont consacrés, tel celui organisé à Brasparts début novembre.
Brasparts, par une matinée de début novembre. Le temps est frais mais le ciel est limpide au dessus de Ti Menez Are, le centre d’accueil installé dans la campagne. De part et d’autre, des arbres aux couleurs chatoyantes marquent la fin de l’été. « Delioù brav, delioù sec’h, delioù an diskar-amzer… » pourraient chanter les enfants rassemblés avec leurs parents dans la salle de jeu. C’est pourtant une autre chanson qu’a choisi Maiwenn, l’une des animatrices de Keav, pour commencer la journée. Les bouts de choux, accompagnés de leur maman et de quelques papas, ont été répartis en deux grands cercles. Aziliz, une fillette de six ans, est dans ses petits souliers. Des larmes coulent de ses yeux. « Reste un peu avec moi ! », lui chuchote sa maman pour la consoler. Un peu plus loin, les gamins n’ont pas peur. S’ils échangeaient en français quelques instants auparavant, les voici qui se lancent en breton à l’intérieur de la ronde, imitant les adultes : « Moi, j’ai des oiseaux à la maison ! » dit celui-ci. Et tous ceux qui ont des oiseaux s’avancent. « Moi, j’aime les bonbons », crie un autre. C’est ainsi que peu à peu les liens du breton se retendent entre les générations…
Sur la route du breton
Mais voici l’heure d’enfiler les chaussures et d’aller faire un tour dans les bois. Les enfants galopent en tête de cortège. On les entend de l’autre côté de la mare discuter… dans la langue de Molière. « C’est le souci de la transmission du breton en famille : ils s’en vont le plus loin possible pour parler en français », avoue Erica, mi-figue mi raisin. Pas de miracle à attendre : le français reste ultra-dominant dans la société, et ce n’est pas en l’espace d’un week-end que l’on peut inverser la vapeur. C’est donc un long chemin qu’il faut parcourir, comme témoigne Catherine, une jeune professeur des écoles, originaire du Léon et participant pour la première fois : « J’ai appris le breton à Stumdi en 2018. A la naissance d’Aziliz, je ne connaissais pas un mot. A la maison, on parle surtout français et espagnol, c’est difficile d’attirer son attention sur le breton », témoigne-t-elle. D’où l’importance pour elle de se retrouver avec d’autres personnes qui s’inscrivent dans la même démarche, ce que ne contre-dirait pas Simon ! Lui est venu avec femme et enfant, en l’occurrence Lizaig, âgée de vingt mois. « L’objectif est de lui montrer qu’il y a des gens qui parlent breton partout… et d’être contraint de le faire. L’ambiance est sympa, avec des enfants de tous âges et des personnes sans enfant », raconte-t-il dans son savoureux breton de Cornouaille.
Un soutien sans prix
Tous trouvent donc un gré à ce type de week-ends, et les familles sont prêtes à traverser la Bretagne pour y prendre part. « Il est important d’avoir ce genre de lieux pour inciter et encourager les participants », explique Katell Chantreau, doctorante en sciences de l’éducation. Elle étudie de près la transmission du breton au sein des familles et a interrogé 450 personnes pour comprendre quelle est leur stratégie en la matière, quels obstacles ou aides rencontrent-ils. Elle pointe les « breathings spaces », concept développé par le sociolinguiste Joshua Fishman. « Le breton s’y retrouve en position de seule langue légitime, et l’ensemble du groupe est propulsé vers lui », explique-t-elle. Aujourd’hui, l’offre n’est pas assez étoffée en Bretagne et le mouvement politico-culturel reste obnubilé par la transmission via l’école. Celle-ci est pourtant plutôt inefficace, alors qu’elle demande beaucoup de temps et d’énergie collective. « Ceux qui n’ont appris le breton qu’en milieu scolaire sont ceux qui transmettent le moins la langue, explique la chercheuse. Je suis convaincue depuis longtemps que la transmission familiale est l’avenir du breton. La langue n’aura pas d’avenir si nous sommes incapables de relancer cette transmission ».
Une politique linguistique pour les familles
Les membres de Keav sont d’accord : « le breton constitue une problématique globale, mais il ne faut pas oublier les familles », souligne Jean-Jacques Bihan, le coordinateur de l’association. Celle-ci a donc pris le problème à bras le corps depuis 2015. L’île de Batz, Carhaix, Lesneven… Bon an, mal an, deux week-ends sont proposés chaque année. « Difficile d’aller plus loin, il faudrait une autre structure. Nous sommes heureux de partager notre expérience pour que se multiplient de telles initiatives », souligne-t-il. Pour plus d’efficacité, il faudrait enraciner ce travail au plus proche des individus et créer de vrais réseaux de familles. « C’est ce qui est organisé en Galice par exemple, pointe Katell Chantreau. Des familles se rassemblent pour aller à la piscine ou faire d’autres choses en galicien. Pour ma part, j’imagine qu’on pourrait en Bretagne s’appuyer sur les Ti ar Vro. Il faudrait monter un projet pilote et créer un poste qui y soit dédié ! » A Ti Menez Are, le séjour touche à sa fin. Petits et grands se disent « kenavo » autour d’un goûter. « Les choses évoluent positivement, analyse Maiwenn, l’animatrice. C’était sympa, mais beaucoup d’enfants comprennent la langue sans la parler. Il faudrait encore plus d’ateliers pour les faire s’exprimer… » Des améliorations en vue pour le mois de mai, à l’Ile-Tudy. Petit à petit, l’oiseau fait son nid et le breton aussi !