Anne-Marie Gloaguen : comment enseigner un breton vivant
Traduction de l’article en breton du numéro 255
Voici la petite dame pleine de malice dans la librairie-café du Faouët, la professeure, la directrice de compétitions de gouren, qui raconte son enfance capiste et comment elle a, malgré les obstacles rencontrés sur son chemin, continué à enseigner un breton vivant et proche des gens du pays.
Sœur à dix ans ?
Le breton était la langue de la famille et on l’entendait partout, à part à Pont- Croix où l’on ne parlait que le français, comme, à l’époque, dans tout chef-lieu digne de ce nom. Anne-Marie était à l’école des sœurs car son père travaillait pour le petit séminaire. La frêle petite fille se retrouve à dix ans convoquée devant les religieuses. « Êtes-vous bien sûre de ne pas avoir la vocation ? », lui demande-t-on « car vous risquez de perdre votre âme éternelle ». On voulait la garder parmi les sœurs pour qu’elle puisse enseigner dans leur école plus tard, une proposition qu’on n’osait faire qu’aux enfants de familles modestes.Troublée un moment par cet entretien et malgré l’insistance des sœurs auprès de ses parents, elle rejoint pourtant le lycée Brizeux de Quimper dès la sixième.
Loeiz Ropars et Marc’harid Gourlaouen : des phares, encore aujourd’hui
Au lycée, en seconde, Loeiz Roparz organise le jeudi après-midi une séance de danses bretonnes. Anne-Marie y participe et elle chante aussi. Elle va avec lui à Poullaouen pour améliorer la danse, la musique et la langue. Chaque année, son professeur d’arts plastiques, Michaud-Vernez, affiche dans les couloirs du lycée des appels à participer au concours de nouvelles d’Ar Falz. Anne-Marie sait parler le breton, mais le lire et l’écrire, c’est plus difficile. Elle gagne pourtant, parfois. La participation étant systématiquement récompensée, elle reçoit des livres en breton et bénéficie même d’un stage de breton gratuit.Elle s’inscrit à Skol Ober, où Marc’harid Gourlaouen corrige ses devoirs par courrier. Une fois, avant le départ du car, Anne-Marie a vu la vieille dame enlever son tablier pour venir discuter, heureuse de rencontrer une élève qu’elle corrigeait, d’une façon « incroyablement minutieuse » selon Anne-Marie qui ajoute en souriant : « Il y a deux saintes dans le monde de la langue bretonne : Marc’harid Gourlaouen et Mona Bouzec…».
L’âge adulte : de Rennes à Paris, les enfants, l’Algérie, le gouren…
Elle a beaucoup aimé son année d’études à Rennes. Par contre, à Paris, au lycée Fénelon, avant l’École Normale, elle a failli repartir. Difficile de vivre « à la capitale ». Mai 1968 bat son plein, boycott de l’agrégation, passage du Capes de lettres classiques. Elle va enseigner quatre ans à Scaër, puis à Quimperlé où les conditions se prêtent au développement de cours de breton. Parenthèse de quatre ans en Algérie alors, suite à laquelle elle obtient l’agrégation de lettres modernes. Quatre enfants, un boulot à plein temps, le passage du Capes de breton, Anne-Marie finira sa carrière en collège. Elle emmène ses jeunes au stage de Koad Pin : la pédagogie de l’oral utilisée leur permet ensuite de converser avec leurs grands-mères de Riec, Clohars, Quimperlé…
La lutte bretonne et la fête de la langue bretonne à Langonnet
Les quatre enfants, leur père et leur mère sont six lutteurs à la maison. Quand Anne-Marie arrive au sein des lutteurs du pays, elle remarque qu’il n’y a pas de place pour les filles en compétition. Et la voilà, avec d’autres femmes, qui demande à ce que les choses changent. Aujourd’hui, tant en Bretagne qu’en Europe, elles ont une grande place dans les sports traditionnels bretons, grâce aux pionnières qui ont ouvert le chemin.
Et la langue bretonne ? C’est aussi, du moins en partie, la langue de la famille, avec l’espoir qu’on parlera dans l’avenir avec la prosodie du breton, la phonologie, et pas du français habillé de mots bretons. L’accent tonique est important. Il faudra des enseignants formés en linguistique générale, et qui utilisent la langue chaque jour, pour le plaisir, pour le rire, pour l’envie d’être ensemble… La fête de la langue bretonne en est le symbole. Des jeunes qui parlent breton entre eux, qui inventent de nouvelles façons de faire, qui organisent un tournoi de gouren, avec l’aide et le soutien d’Anne-Marie, toujours sur le terrain, pas loin de la lice…
Bali Breizh au pays du Roi Morvan (interview à la librairie du Faouët, 2023)