Chaseal a-vandenn, sed an ali a vez klevet mui ouzh mui digant pennoù bras an ekonomiezh hiziv an deiz. Sed bed ar “stroll”, an “digor” hag ar “ken” : arc’hantaouiñ a-stroll (crowdfunding), mammennoù digor (opensource), kenverkañ (cobranding)… Ne dremen seurt hebiou d’an dachenn arnodiñ nevez-se, pe e vefe anv eus buhez pemdeziek an dud, pe eus mont en-dro an embregerezhioù. Gant berzh bras peurvuiañ. Met arabat mont hep krog da vouara…
Le monde au fond de mon panier
Chasser en meute
Chasser en meute, on entend de plus en plus souvent cette recommandation dans la bouche des économistes de tous poils. Nous voici dans le monde du “crowd” de l’“open” et du “co” : crowdfunding, opensource, cobranding… Rien n’échappe à ces nouveaux territoires d’expérimentation, qu’il s’agisse de la vie quotidienne de nos concitoyens ou du fonctionnement des entreprises. Avec un réel succès le plus souvent, à condition d’être bien armé pour l’aventure.
Jacques Delors se plaisait à répéter qu’il nous faut combiner “la compétition qui stimule, la coopération qui renforce, la solidarité qui unit”. Les Bretons ont prêté une oreille attentive à cette devise. La Bretagne est la première région de France dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. 13,6 % des salariés y sont employés contre 9 % pour la moyenne française. D’où vient cette solidarité ? De l’histoire de notre culture, sans aucun doute. La tradition des travaux collectifs à la campagne ou en mer, le souvenir de la pauvreté collective et nos racines chrétiennes ont nourris nos valeurs. Et plus loin encore, peut-être, une mentalité d’immigré et de presqu’insulaire…
Des liens fructueux entre ces valeurs et l’économie avaient été mis en évidence par la JAC au cours de la deuxième moitié du xxe siècle. On retrouve aujourd’hui cet état d’esprit dans des projets comme Bégawatt : un millier de citoyens de la région de Bégane, près de Redon, ont investi leur argent pour créer un parc éolien qui produira de quoi suffire à la consommation de 8 000 foyers. Le montant des financements par la foule a été multiplié par trois en France entre 2012 et 2013, et selon une étude de l’agence Forbes, il atteindra 1 000 milliards de dollars dans le monde en 2020.
Quand le sens rassemble
Bien des exemples pourraient être cités dans le monde de l’entreprise pour témoigner de l’efficacité du travail collaboratif : usines partagées entre plusieurs entreprises, groupements d’achat, produits cobrandés, promotions collectives, transports mutualisés, exportations en grappe…
Les directeurs de Loïc Raison et de Breizh Cola se sont entendus pour monter ensemble une ligne d’embouteillage dernier cri sur le site de Domagné. Cette ligne fonctionne en alternance. En collaborant dans le domaine industriel, les deux dirigeants ont appris à se faire confiance, si bien qu’ils ont décidé d’aller un peu plus loin en vendant ensemble leurs produits dans les grandes surfaces de la région parisienne.
Triballat a concocté une variante de son fromage Petit Breton, frotté à la bière Britt. Il ne s’agit que d’une série limitée, pour nourrir l’image de chacune des deux marques. Chacune d’entre elles figure sur l’emballage.
Des membres de l’association Produit en Bretagne se regroupent également pour organiser des opérations promotionnelles en magasin, sur le thème de “l’apéritif breton”, tiens donc ! Chips Bret’s, bière Lancelot ou Coreff, Breizh Cola, Craquelins de Saint-Malo, biscuits salés Traou-Mad, beurre Legall, tomates cerises Saveol… Il y a de quoi faire ! L’animation n’en est que plus vivante pour les consommateurs, et les coûts de la théâtralisation sont partagés entre tous les participants.
L’entreprise Krampouz est célèbre pour ses “billigs”. Elle a travaillé avec Jean Hénaff d’une façon un peu différente. Des démonstrations-dégustations sont organisées en magasin. Tandis que l’une vend ses plaques chauffantes l’autre vend ses saucisses…
Des liens et des ponts
Tous ces exemples relèvent du bonding capital, c’est-à-dire un capital constitué par les liens relationnels. Ce concept a été forgé par le sociologue Robert Putnam dans les années 2000 pour mettre en évidence la fécondité des liens de proximité culturelle à l’intérieur d’une communauté. Plus on puise dans ce bonding capital, plus on le renforce. Il devient ainsi de plus en plus facile de monter des projets de grande ampleur, jusqu’à constituer un bridging capital, c’est-à-dire, selon Putnam, la capacité de jeter des ponts entre des acteurs dont la nature et les intérêts diffèrent, à première vue.
Les modalités du bridging capital sont explicables à partir d’un exemple type : le GIE des Chargeurs Pointe de Bretagne. Cette organisation relève d’une collaboration dite many-to-many, c’est-à-dire que plusieurs acteurs travaillent pour plusieurs acteurs, comme on le fait pour Wikipedia. Les Chargeurs Pointe de Bretagne ont été créés en 2011 par cinq entreprises fondatrices de l’ouest breton : Altho (Saint-Gérand), Chancerelle (Douarnenez), Jean Hénaff (Pouldreuzic), JF Furic (Penmarc’h) et Loc Maria (Locminé). Leur objectif était de “concevoir, négocier et mettre en œuvre des solutions logistiques mutualisées”. Car la Bretagne est très éloignée des centres de consommation français. Pour rester en vie, les entreprises doivent couper dans les dépenses en optimisant le remplissage des camions par la coordination des chargements et des livraisons. Il s’agit d’organiser des tournées de ramassage et de grouper les marchandises sur une plateforme avant de les expédier sur les entrepôts des clients, jusqu’à Amiens, Strasbourg, Le Mans, Agen, Blanquefort… Pour réussir, les fondateurs ont dû s’entendre avec un transporteur et une chaîne de magasins qui ont accepté de mener l’expérience jusqu’au bout. Et le succès a été au rendez-vous. Désormais, de nouveaux fabricants, de nouveaux transporteurs et de nouveaux distributeurs souhaitent prendre part à l’aventure.
Le bridging capital de la Bretagne s’est développé du fait d’acteurs qui avaient l’habitude de travailler les uns avec les autres sans vraiment travailler ensemble. Toutes les parties prenantes tirent avantage de cette nouvelle organisation : moins d’expéditions, moins de CO2, moins de dépenses, avec à la clé des relations et un niveau de confiance durablement renforcés.
Tout ceci illustre le concept de territoire, tel que l’a approfondi le chercheur de Toulouse Gabriel Colletis. Le territoire n’est pas constitué par une somme d’acteurs, mais par l’addition de tous les liens entre les acteurs. Trois caractéristiques définissent ainsi un territoire : la proximité géographique, la complémentarité des compétences et une culture partagée. “Cent fils font une corde” nous dit un dicton breton.