Should Scotland be an independent country?” L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? La question paraît simple. La réponse, elle, ne l’est certainement pas. Les Écossais devront pourtant trancher, ce 18 septembre 2014, dans le cadre d’un référendum d’autodétermination très attendu. Enquête pour comprendre les origines, les raisons et les arguments qui motivent cet événement.

“L’Écosse vit des moments historiques !, ce qui passionne les Bretons”, assure Pierre Delignière, président de l’Association Bretagne-Écosse. Si les relations entre les deux pays sont moins fortes qu’entre la Bretagne et le pays de Galles, les points communs sont nombreux. De taille comparable – 5,3 millions d’Écossais pour 4,5 millions de Bretons –, les deux régions se caractérisent par une stabilité territoriale sans beaucoup d’équivalent dans le monde. Comme en Bretagne, deux identités coexistent en Écosse, de nature différente : l’écossaise et la britannique. En 2011, selon le Scottish Centre for Social Research, 33 % des individus interrogés se disaient exclusivement Écossais, 29 % plus Écossais que Britannique, 23 % autant Écossais que Britannique, 5 % plus Britannique qu’Écossais et 5 % Britannique uniquement. Ainsi, les deux tiers des Écossais se définissent également comme Britanniques. Contrairement à la Bretagne toutefois, l’Écosse est considérée sans problème, par tous, comme une nation, précise le politiste écossais Michael Keating.

L’aspiration écossaise à un pouvoir politique reconnu s’ancre dans une histoire très ancienne, l’Écosse actuelle trouvant ses origines vers 839-844, lorsque Kenneth MacAlpin devient roi des Scots et des Pictes. Le royaume stabilise ses frontières au XIIIe siècle, à quelques exceptions près. Quand le roi d’Écosse Jacques VI devient aussi roi d’Angleterre en 1603 (premier du nom pour l’Angleterre), l’union qui en résulte se fait sur la base d’une apparente égalité. Pendant un siècle, le Royaume-Uni est une entité avec deux royaumes, deux parlements, mais un seul monarque. Si le centre du pouvoir était clairement à Londres, un pouvoir politique et symbolique persistait en Écosse : le Parlement, qui n’était pas seulement un législateur pour ce qui concerne les affaires écossaises, mais aussi une réelle arène de débats politiques et de représentation de la société écossaise.

 

Un semi-État écossais

En 1707 néanmoins, les parlements d’Angleterre et d’Écosse fusionnent dans le nouveau Parlement de Grande-Bretagne. Après huit siècles de souveraineté écossaise, le pouvoir politique quitte l’Écosse, pour s’établir entièrement en Angleterre. Pourtant, l’Union préserve de nombreux éléments et institutions clés qui permettent la perpétuation d’une société civile distincte, voire d’un “semi-État écossais”, selon l’expression du sociologue David McCrone.

Trois institutions peuvent être considérées comme les piliers de la préservation de l’Écosse comme entité différenciée : l’Église, le système légal, et le système éducatif. La Kirk, presbytérienne, conservait son indépendance du pouvoir politique, contrairement à l’Église anglicane, épiscopalienne, en Angleterre. De même, un système légal séparé était maintenu, d’inspiration romaine (c’est-à-dire codifié), contrairement à la common law anglaise de nature jurisprudentielle. Ce système légal séparé a permis l’existence de nombreuses lois spécifiquement écossaises depuis 1707. Le troisième pilier, enfin, est l’éducation, qui est restée de compétence exclusivement écossaise après l’Union.

Ces spécificités ont obligé l’État britannique à mettre en place un système administratif territorialisé écossais, au fur à mesure du développement de l’État. À partir du Scottish Reform Act (1832), commencent à être créées des commissions spécifiquement écossaises pour administrer les affaires de la région. En 1885, un secrétaire pour l’Écosse, membre du gouvernement, est nommé, dont les services, qui prennent le nom de Scottish Office, visent à chapeauter l’ensemble des commissions et départements créés pour administrer l’Écosse. Ministère décentralisé et multifonctionnel, le Scottish Office n’est toutefois en rien l’expression d’un pouvoir décentralisé : il fait partie du gouvernement central et met en application les lois votées à Westminster. Il est l’expression de la gestion territoriale d’un État unitaire.

 

Home Rule

Bien que respectant et perpétuant leur spécificité, ce traitement institutionnel irrite progressivement les Écossais, qui ont le sentiment de ne pas pouvoir peser sur les décisions qui les concernent. L’acte d’Union, en 1707, avait été voté par 110 parlementaires écossais, contre 67. Mais une très large partie de l’opinion était alors contre. Si la revendication d’un Parlement écossais ne disparaît jamais complètement, il faut néanmoins attendre le milieu du XIXe siècle pour qu’elle soit de nouveau défendue collectivement et politiquement.

Peu à peu se structure une revendication explicite pour l’autonomie de la région, le Home Rule, au moment où la même revendication pour l’Irlande occupe de façon croissante la politique britannique. En 1886 naît donc la Scottish Home Rule Association (SHRA). Portée par les libéraux et les travaillistes, un projet de Home Rule fut présenté à quatorze reprises au Parlement entre 1889 et 1927, mais sans succès. Cet échec suscite l’émergence de plusieurs petits groupes nationalistes dans les années 1920, qui se fédèrent en 1934 pour former le Scottish National Party (SNP).

Pendant trois décennies pourtant, la revendication de Home Rule disparaît pour ainsi dire de l’agenda politique écossais, le Parti travailliste se convertissant progressivement à l’unionisme, et le parti nationaliste peinant à percer électoralement. Il faut attendre les années 1960 pour que la revendication de dévolution revienne au premier plan, avec les premiers succès électoraux du SNP. Les partis britanniques doivent réactualiser leur réflexion ; une commission royale, la Commission Kilbrandon, est mise en place pour étudier la question. Parallèlement, en octobre 1970, bp découvre du pétrole au large d’Aberdeen, dans ce qui allait devenir l’énorme gisement pétrolier des Forties. Dès septembre 1972, le SNP lance son plus célèbre slogan “It’s Scotland’s Oil” (C’est le pétrole de l’Écosse). La percée politique du snp en 1974, qui obtient onze députés au Parlement, oblige le gouvernement travailliste de Harold Wilson à réagir et à dépasser les réticences de sa branche écossaise.

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