“N’allez pas au sommet d’une montagne ou au fin fond d’une forêt, vous deviendrez une attraction touristique. Retournez dans votre ferme familiale, soyez-y un ermite anonyme, dans la banalité du quotidien. Votre ermitage, ce sera à vous de l’inventer à partir de qui vous êtes.” C’est avec ce viatique que Dom Pierre Anquez envoya, le jour de ses vingt-huit ans, le bigouden Jean Daniel dans la vie érémitique. Né à Plomeur en 1941, quatrième d’une famille de neuf enfants, Jean Daniel entre au séminaire à la mort de son père. À vingt ans, la lecture de Maritain l’ouvre à la dimension contemplative à laquelle tout son être aspirait. Attiré par toujours plus de silence, il tâtonne plusieurs années, passe par quatre monastères avant de trouver la formule et le lieu. Depuis 1969, il vit dans l’écurie rénovée de la ferme familiale. Devenu paysan, il a coutume de dire que les vaches lui “ont tout appris”. Ermite et paysan, une vocation expérimentale. Prophétique peut-être pour aujourd’hui ?
Enfance et tâtonnements
Un hameau tapi à l’extrême-ouest du Finistère est le lieu de naissance de Jean Daniel. On y parle breton, on partage les joies et les travaux, la prière rassemble au soir la grappe des enfants autour des parents. À cinq ans, il est expulsé du paradis de l’enfance : le pensionnat est un bagne pour le petit campagnard timide. Le mur qui le protégeait de la vie s’effondre au terme de son adolescence : la mort du père crée une sidération, un questionnement, suscite l’appel de l’absolu. Au grand séminaire de Quimper, si la formation est solide, sa soif de silence n’est pas étanchée. Il entre au monastère de Landevennec, qu’il quitte pour celui de la Pierre-qui-vire puis pour la Chartreuse de Sélignac, d’où il est envoyé comme ermite par Dom Pierre Anquez. Ce dernier lui rédige une charte spirituelle dont voici un extrait : “Vous avez une nature sainte et robuste, une âme simple et contemplative, il vous faut une vie très simple, au rythme de votre cœur et de la nature […].” Dom Pierre Anquez l’invite à faire le tour des ermites qu’il connaît en France. Jean Daniel rend aussi visite au vieux Maritain, retiré à Toulouse chez les petits frères de Jésus, qui le confirme dans sa vocation d’ermite. (…)
Un article de Marine d’Avel – Photographies : Aïcha Dupoy de Guitard