En Bretagne , Gilles Boeuf n’est pas un inconnu. Loin de là. Lorsque vous interrogez ses pairs, ses anciens professeurs à la faculté des sciences de Brest, chacun évoque sans peine un souvenir bien précis de ce jeune passionné qui n’était pas forcément comme les autres. Il est né naturaliste. Il est né entomologiste. Il est captivé par les insectes, tout particulièrement par le carabe aux reflets d’or dont il parle encore avec tendresse. “Aujourd’hui, dit de lui sa consoeur Céline Liret, directrice scientifique et culturelle d’Océanopolis, c’est une encyclopédie vivante, très vivante”.
Il fait partie de ces scientifiques qui ont pris un peu de hauteur, que cette envie de partager, de raconter, démange, qui cherchent à faire naître l’étincelle dans l’oeil de leur interlocuteur. Alors ne cherchez pas, il n’y aura pas de révélation. Il n’y aura pas de face cachée révélée. Il y aura simplement l’histoire d’une destinée. D’un petit garçon qui cheminait sur les rivages du fond de la baie de Douarnenez devenu océanographe, devenu président du Muséum national d’histoire naturelle en 2009, devenu l’un des interlocuteurs principaux sur la biodiversité dans le monde. Il ne vit plus en Bretagne, mais il lui est demeuré fidèle. Et c’est bien pour cette raison que vous trouverez dans ce numéro une contribution de sa part, un plaidoyer, fruit de conférences données à travers le monde, tout particulièrement depuis l’année 2010 qui fut consacrée à la biodiversité et dont il fut un participant majeur. Il resitue le débat, retrace l’histoire, donne les moments clefs, explique où nous en sommes. Les inquiétudes sont palpables. La lucarne est ouverte sur la planète bleue.
Quant à la Bretagne bleue, c’est François de Beaulieu, engagé de longue date dans la protection de la nature, qui prend la relève en décrivant les évolutions, en nommant les espèces remarquables avec lesquelles nous cheminons, du nord au sud et d’est en ouest. C’est une carte étrange qui apparaît sous nos yeux, celle d’une Bretagne vivante. Où l’on voit plonger les fous de Bassan, oeil bleu clair acéré, ailes cassées, dans le voisinage des Sept-Îles, le pacifique requin pèlerin qui aime se frotter en nombre – entre le 5 et le 9 juin 2013, quatre-vingt-quatre ont été dénombrés ! – à l’archipel des Glénan, où pousse d’ailleurs avec bonheur le narcisse. Et l’on peut être heureux du retour du grand corbeau – ar vran – au cri guttural, revenu nicher sur les falaises bretonnes. “Depuis plus de cent cinquante ans, des Bretons ont joué un rôle pionnier en matière de connaissance et de protection de la nature avec les laboratoires de biologie marine, la création de réserves naturelles, le développement d’un fort mouvement associatif, analyse François de Beaulieu. La Bretagne doit aujourd’hui inventer les nouvelles formes d’usage et de protection de ses ressources naturelles, qu’il s’agisse du sol, de l’eau, des espaces et des espèces.” Et Gilles Boeuf d’ajouter, sans rire, “il faut réintroduire l’homme dans la nature”.
Chloé Batissou