Une de nos figures d’exilés bretons les plus fameuses n’est autre que le vagabond Kerouac désigné un peu malgré lui comme le roi de la Beat Generation et qui, comme le souligne Charles Kergaravat, lui-même né à Manhattan d’une famille originaire des Montagnes noires, ne souhaitait finalement qu’une seule chose, être breton, retrouver ses racines. Il voulait simplement, du moins dans ses dernières années, être Ti Jean. Il avait soif de sa Bretagne rêvée, de granite, d’ajoncs et de bruyères. Nous avions dans le numéro 212 publié, en avant-première, un récit photo de René Tanguy relatant cette amitié extraordinaire, restée à ce jour peu connue, entre Jack Kerouac (1922-1969) et le poète breton Youenn Gwernig (1925-2006). L’ouvrage, Sad paradise, est paru en cette fin d’année 2016 chez Locus Solus. Il rend hommage à une époque, à deux personnages truculents, à l’amitié splendide, mais aussi à l’échappée, au voyage quelque peu forcé, à l’émigration parfois voulue, parfois contrainte. À ces histoires qui se nouent de l’autre côté entre migrants, recherchant un peu de chaleur, un peu de couleurs du pays natal ou de la terre ancestrale.

Que ce soit de l’autre côté de l’Atlantique, ou plus près de chez nous, à Paris le plus fréquemment, mais aussi en Normandie et plus particulièrement au Havre, les Bretons ont très souvent dû partir en quête d’une vie moins âpre. À l’image des Galiciens ou des Irlandais, de ces peuples des marges, ils ont pris la mer, maigre valise à bout de bras, l’espoir au creux des mains. Coûte que coûte. Les cinq cents ans d’existence de la ville du Havre sont une belle occasion pour nous de revenir sur ces histoires-là qui ont construit aussi ce qu’est la Bretagne aujourd’hui, qui ont fondé une diaspora. En 1517, trois cent soixante-cinq ouvriers ouvrent à la construction du futur port situé à l’embouchure de la Seine. Deux cents d’entre eux sont originaires de Bretagne. Au XIXe siècle, une deuxième vague d’arrivants est liée aux travaux qui agitent à nouveau le port du Havre. Parmi eux, l’on croise une autre figure familière, celle d’Édouard Corbière. Marin, journaliste, écrivain, il est aussi celui qui facilitera la venue des Bretons en fondant en 1839, comme le rappelle l’historien Thomas Perrono, la Compagnie des paquebots à vapeur du Finistère, permettant de rallier le port normand au départ de Morlaix. “Courageux et durs à la peine, il n’y a pas d’emplois si pénibles qu’ils n’acceptent, ni de travail si écrasant auquel ils se soumettent.” Conditions de travail extrêmement difficiles, repos quasi inexistant. C’était le lot d’un grand nombre de migrants. Cinq cents ans plus tard, l’âme bretonne reste perceptible au Havre, dans les cœurs et les esprits, dans les murs du quartier Saint-François, dans les pierres qui racontent et dans les traditions qui perdurent.

À New York, Ellis Island ouvrit ou ferma les portes aux Armoricains qui venaient chercher secours en Amérique. “Mes parents, quand ils sont partis là-bas, confie Charles Kergaravat, ne parlaient pas la langue, ils cherchaient une vie meilleure et ils ont été accueillis à bras ouverts.” Il s’interroge et nous retourne la question : “Mes parents étaient-ils des expatriés ou des réfugiés ?”

Chloé Batissou 

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